Business, as usual

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Ce qui a changé dans les centres fermés depuis la mort de Semira Adamu ? Pas grand chose, ou presque. Au lendemain du drame en septembre 1998, c’est surtout les conditions d’expulsion qui ont focalisé l’attention et on se souvient qu’un des premiers gestes du nouveau ministre de l’Intérieur, l’ancien ayant démissionné, fut de nommer la Commission Vermeersch pour évaluer la politique belge d’expulsion des étrangers. Suite au rapport de cette commission, de nouvelles directives ont été adressées aux policiers qui procèdent aux expulsions – la mesure la plus symbolique consistait à interdire toute technique qui obstrue, même partiellement les voies respiratoires – mais, dans les faits, les violences commises lors des expulsions n’ont pas diminué.

Pour ce qui concerne les centres, le gouvernement avait concocté un arrêté royal adopté au mois de mai 1999, texte très attendu puisque les centres fonctionnaient jusque là sans réglementation. Las ! Si cet arrêté fixait effectivement un certain nombre de règles et avait l’avantage de sortir du flou une série de pratiques, il comportait aussi une série d’articles contraires aux droits de l’homme. Sur recours du Mrax et de la Ligue des droits de l’homme, le Conseil d’Etat a d’ailleurs annulé une série de dispositions de cet arrêté. Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de prendre un nouvel arrêté royal, daté du 2 août 2002, toujours en vigueur aujourd’hui. Cet arrêté étant sensiblement similaire au précédant, il fait actuellement l’objet d’un recours par les mêmes organisations, devant la même juridiction.

Il est juste de dire que les détenus des centres (les « occupants » ou les « résidants » selon la terminologie officielle) sont traités de manière humaine, pour autant qu’il soit humain d’enfermer des gens qui n’ont commis aucun délit. Reste que l’enfermement pendant des mois, voire plus d’un an pour certains, génère des troubles de tous types, que le régime de groupe est difficile à supporter pour beaucoup et que l’accès aux soins reste difficile. Il faut aussi dénoncer la situation intenable dans laquelle se trouvent les assistants sociaux et psychologues des centres : payés par l’Office des étrangers, ces personnes ont pour mission, selon les termes de l’arrêté royal, d’accompagner socialement et psychologiquement les détenus, de « les préparer à leur éloignement éventuel » et de « les inciter au respect de la décision d’éloignement qui serait prise à leur égard ». Dans ces conditions, il leur est impossible d’exercer leur métier de manière satisfaisante et indépendante. Le récent suicide d’un détenu au centre fermé de Merksplas l’illustre de manière tragique.

Une Commission des plaintes a pourtant été mise et place et organisée par un arrêté ministériel du 23 septembre 2002. Cette commission est chargée d’examiner les plaintes que les occupants des centres auraient à formuler. Si l’idée est louable, cette commission est très loin de donner satisfaction. Trois critiques majeures peuvent être formulées. D’abord, les plaintes doivent être introduites dans les cinq jours des faits qui les motivent. Or, contrairement à ce que soutiennent les directions des centres, la plupart des détenus ignorent l’existence de cette commission. Ce délai de cinq jours est donc beaucoup trop court. Ensuite, l’introduction d’une plainte n’est pas suspensive de l’expulsion. La plupart des détenus ont donc peur – comment ne pas les comprendre – que l’introduction d’une plainte hâte leur expulsion. Enfin et surtout, ces plaintes ne peuvent concerner que des faits qui se sont passés à l’intérieur du centre. Or, la plupart des incidents graves – coups, insultes, pressions psychologiques – se passent désormais, on le sait, en dehors des centres, et en particulier à l’aéroport.

Peu de raisons d’être optimiste donc. Les six centres fermés belges affichent un taux de remplissage élevé et il se trouve régulièrement un mandataire politique ou l’autre pour laisser entendre qu’il faudrait en augmenter la capacité ou en ouvrir d’autres. Et le contexte européen n’est guère plus encourageant. L’Union européenne est en train de réfléchir sérieusement à créer des camps, situés en dehors des frontières de l’Union, chargés d’effectuer le tri des migrants qui se présenteraient aux portes de l’Europe. Réflexion qui s’inscrit dans une logique déjà largement à l’œuvre : que ce soit par le biais des accords de réadmission qu’elle cherche à conclure – imposer serait plus correct – avec des pays sensibles ou par la mise en place de charters européens pour expulser plus facilement les migrants, l’Europe a depuis longtemps adopté une attitude sécuritaire qui consiste à mettre le plus d’obstacles possibles à ceux qui voudraient s’y installer et à renvoyer ceux qui passent entre les mailles du filet.

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