Sam Superstar !

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L’adaptation du roman de Yassir Benmiloud par Roland Mahauden et Sam Touzani est un énorme pavé jeté dans la marre du politically correct de mise lorsque l’on s’aventure à discourir sur l’Islam et ses déclinaisons en -isme ou en -ophobie. La seule évocation du titre fait l’effet d’une bombe… « Allah Superstar » dénonce les amalgames, les discriminations et les dérives de la société du spectacle. Dans une interprétation dynamique et juste, Sam campe plusieurs personnages dont celui de Kamel Léon – jeune banlieusard d’origine « difficile » – qui veut absolument devenir célèbre. Pour y arriver, seules deux voies s’offrent à lui : faire rire, comme Jamel, ou faire peur, comme Ben Laden…ou les deux à la fois ? Après plus d’une heure d’un humour efficace et incisif, le dénouement final suscite réflexions et interrogations : pari gagné !

Sam Touzani possède plusieurs cordes à son arc. Tour à tour acteur, danseur ou présentateur télé, il est également très impliqué dans le monde associatif. Parrain de nombreuses initiatives, il sera bientôt le Président du futur Centre culturel maghrébin pluraliste qui verra le jour à Bruxelles en 2007. Affaire à suivre ! Rencontre avec un homme chaleureux qui ne mâche pas ses mots.

 

Pourquoi la nécessité de ce spectacle ?

Pour la première fois un auteur de culture arabo-musulmane – Yassir Benmiloud, journaliste algérien qui a fuit le pays – ose un regard croisé avec la culture occidentale de son pays d’adoption. La première question qu’il pose d’emblée au public c’est : « Pourquoi les Chrétiens rient de leurs curés, les Juifs de leurs rabbins et les Musulmans ne rient pas de leurs imams ? ». Question aux vertus pédagogiques… De nos jours, les amalgames sont omniprésents : on confond Musulmans, islamistes, terroristes, Arabes, c’est une espèce de foutoir ! Et si ce n’est déjà pas clair pour les Européens de culture musulmane, ça l’est encore moins pour le pays d’adoption.

En quoi l’auteur a-t-il un point de vue original ?

Il fait un réquisitoire contre la production télévisuelle et cinématographique. Il y a une manipulation terrible ! Lui dit STOP : il analyse et dissèque au scalpel la société française et, par extension, la société belge. Je l’avais déjà fait dans « One Human Show » mais je reste quand même un « Echte Zinneke » bruxellois d’origine marocaine. Lui a la vision d’un mec qui est né en Algérie, on sent qu’il a baigné dans cette culture arabo-musulmane et qu’il a vécu les dérapages des années 90’… C’est une grande première, il a des points de vue et des angles d’approche qui, pour moi, étaient des angles morts qui échappaient à mon entendement.

Cette pièce est-t-elle destinée à un public spécifique ?

Non. En fait, pour moi un public est avant tout anonyme, même si il y a évidemment différents types de publics. J’ai cette même démarche depuis une quinzaine d’année et ,très modestement, j’essaie aussi de faire des spectacles pour les gens qui n’ont pas l’habitude de venir au théâtre. Ils n’ont pas besoin d’être fils d’immigrés ou d’ouvriers pour ça. Il y a un vide culturel, un espace qu’il faut remplir. Il faut enfoncer les portes du théâtre et dire qu’on est là et qu’on existe ! Venir avec un texte qui parle de la cité, de la ville, de telle manière à ce que le travail de miroir puisse directement s’opérer. C’est uniquement en ça que le public est ciblé. Il y a une constante dans « Gembloux », dans « One Human Show » et dans « Allah Superstar » : on parle aussi au théâtre d’une partie de leur Histoire !

Le personnage principal de la pièce, Kamel Léon, affirme qu’un jeune d’ « origine difficile » ne peut devenir célèbre que s’il fait rire ou s’il fait peur. Vous partagez ce constat ?

Oui, en partie. En fait, des mecs qui travaillent en surface comme Jamel Debbouze et Gad El Maleh existent et ont un public. Heureusement il y en a d’autres : je pense à Fellag, à Bziz et à tous ces artistes qui sont à la recherche de sens. Ils fonctionnent tout en étant subversifs et bien qu’ils ne soient pas médiatisés. C’est peut être un raccourci mais c’est quand même une réalité. Je suis bien placé pour le savoir, au début des années 90’ j’ai été en quelque sorte la « Merguez de service » en faisant de la télévision.

La situation n’a-t-elle pas changé depuis ? L’accession de Fadila Laanan au poste de Ministre de la culture en est un bel exemple.

Oui… En tous cas la Belgique a droit à une bonne note. En quarante ans, nous sommes passés de l’immigration à la citoyenneté, non sans frictions d’ailleurs… Mais il est vrai qu’on a jamais vu ailleurs une ministre de la culture issue de l’immigration maghrébine, c’est une grande première. Donc c’est plutôt positif pour la Belgique. Mais la Belgique n’est pas la France.

En France, Jamel Debbouze est une icône, c’est un modèle de réussite pour la jeunesse issue de l’immigration. Pourquoi l’auteur d’Allah Superstar se moque-t-il de lui ?

Car Jamel Debbouze est l’arbre qui cache la forêt, une sorte de cache misère. Y.B. le descend en flèche car il manque de cohérence. Je trouve aussi qu’il y a un problème d’honnêteté intellectuelle chez Jamel. Il a énormément de talent, c’est une personnalité charismatique mais quand il se fout de la gueule de Sarkozy ou de Chirac, qu’il remet en question tout le système politique français – jusqu’à nouvel ordre, une démocratie – et que dans le même temps il explique que Mohammed VI est un type bien alors que l’on sait pertinemment que c’est un dictateur : il devient amnésique ! C’est un manque d’engagement de sa part, sans doute par peur. Mais à partir du moment où des milliers de jeunes ont Jamel comme modèle et que ce dernier baise la main d’un dictateur, tous ces jeunes vont forcément aimer ce dictateur. Il y a manipulation de masse. 

Le spectacle parle de la difficulté pour un jeune issus de l’immigration de se faire une place dans la société mais également de la question de l’Islam en Europe. Selon vous, les deux sont-ils liés ? La difficulté de faire sa place est-elle due à la confession musulmane ?

Je ne crois pas que les deux sont forcément liés. Par contre les deux sont mal compris. D’abord, la religion c’est comme la sexualité : c’est une question d’ordre privé. A partir du moment où elle devient publique, on la traite mal, de manière caricaturale et souvent par la terreur : aujourd’hui, il est de bon goût de faire peur… La société d’accueil et l’Islam en Occident sont mal compris. Il y a des manipulations des deux côtés. Avant tout, du côté de ceux qui utilisent l’Islam à des fins de pouvoir, c-à-d les islamistes. Ils tirent admirablement bien les ficelles afin d’« islamiser » l’Europe à leur manière. Je condamne fermement cette vision car personne n’a le droit d’imposer quoi que ce soit à qui que ce soit. Je tiens tout particulièrement à la laïcité de l’Etat car elle permet le libre choix des conceptions philosophiques .

Les intégristes se vendent bien…

C’est clair ! Mais de l’autre côté, il y a des gens qui stigmatisent sans cesse les mêmes ! Alors moi je veux bien qu’on parle d’un petit dix pour cent de connards qui foutent la merde au sein de l’Islam mais on ne montre qu’eux à la télévision ! C’est comme si les autres n’existaient pas ! Donc il y a aussi le déni d’une culture, d’une religion et les gens de la communauté maghrébine le vivent mal. C’est violent parce qu’ils ne sont pas reconnus.

Il y a un manque de dialogue ?

Malheureusement, j’ai l’impression que la rencontre n’a jamais été possible entre les différentes communautés. En Belgique nous vivons dans un pays où tout est particulièrement communautarisé. A travers les communautés culturelles et les régions, tout est segmenté.

Evidemment ça n’aide pas…

Non ! En plus, on voit des différences énormes au sein même des cultures ou des religions. Chez les Musulmans, par exemple, entre les Turcs, les Albanais, les Marocains, …. C’est fou ! On a l’impression que ce sont des Islams différents. Ces différences sont évidemment d’une grande richesse mais elles sont parfois utilisées de manière contre-productive. Il y a non seulement un dangereux repli au sein de la communauté mais dans les communautés ou les obédiences il y a des replis également ! Face à un même Dieu ! Donc ça fout un de ces bordel terrible !

Quelle solution ?

C’est une question de temps et de génération mais aussi de dignité, de connaissance et de reconnaissance. Il y a encore du boulot !

Dans One Human Show vous luttez contre le concept d’ « intégration », dans Allah Superstar vous lutter contre l’intégrisme. Sam Touzani : un homme intègre ?

(Rire) J’ose penser en secret que oui…mais je n’ai pas de fierté car celle-ci est souvent mal placée. J’ai longtemps cru que j’étais Che Gevara, jusqu’à mes vingt ans je me situais entre lui et le Mahatma Gandhi. Aujourd’hui j’ai compris que je devais bosser dans ma cité, avec mon voisin de pallier. Ce n’est pas moi, le petit artiste Sam Touzani, qui vais changer le monde. Par contre, je peux influencer positivement ma vie. Je suis idéaliste, j’ai une certaine idée du bonheur et je pense qu’il rend meilleur. En essayant d’être mon propre référent positif, je crée de bonnes ondes. Mais pas bêtement ! Il ne s’agit pas de dire que « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, je t’aime et tu sens bon sous les bras… ». Je pose des questions. D’ailleurs je termine mon spectacle par la fameuse maxime de Roland Mahauden (ndlr : directeur du Théâtre de Poche, metteur en scène) : « Nous ne sommes pas là au théâtre pour vous dire comment il faut penser, nous sommes juste là pour vous dire qu’il faut penser. ».

Allah Superstar au théâtre de Poche.
Prolongations du 09 mai au 24 mai 2005

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