“Il n’y a pas qu’une seule discrimination” – Portrait de Shahin

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Sourde de naissance, musulmane, femme racisée Cachemirie, Shahin n’a pas été épargnée en termes de discriminations tout au long de sa vie. Les propos violents qu’elle a reçus sur son lieu de travail sont choquants et révèlent la triste réalité des femmes racisées invalides.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Shahin, j’ai 41 ans et je suis une militante handiféministe, antiraciste, décoloniale et intersectionnelle. Je suis une aussi une personne sourde – surdité bilatérale de naissance – et je me bats contre le validisme.

Comment vous définissez-vous ? Quelle est votre identité ?

Mon identité est plurielle. Je me vois comme une femme, une femme racisée Cachemirie, belgo-cachemirie, musulmane. Je suis née ici en Belgique et en situation de handicap : je suis sourde de naissance, une surdité bilatérale moyenne à sévère avec une perte de 70 décibels à chaque oreille.

Quel est le regard de l’autre sur votre personne ?

Quand je suis parmi les gens et que je dis que je suis sourde, c’est l’étonnement total, mon handicap ne se voit pas et ne s’entend pas, je le vis tout le temps. Et je le vois très bien aussi en fonction de ma couleur de peau, de mon nom de famille aussi, et souvent les gens me regardent et me questionnent sur mes origines, si je suis musulmane ou pas, si je suis indienne, c’est toujours ces questions-là qui sont posées avant tout. Cela me dérange très fort parce qu’il y a dissonnance. D’un côté, on vante la diversité, on vante la société multiculturelle, et de l’autre, en fait, on se rend compte qu’on est essentialisé finalement à ce qu’on voit de nous quoi, donc une personne de couleur forcément, on ne va pas penser que je suis née en Belgique et on va toute suite me dire :  » d’où viens-tu? », ah non, je viens d’ici, je suis née ici. Et donc automatiquement on me renvoie, on m’altérise. Comme je suis  »exotique », pour elleux, je ne suis pas d’ici.

Un Noir au milieu de 40 blancs ça s’adapte, pourquoi toi tu n’arrives pas à t’adapter ?

Quel est le souvenir de la première discrimination dont vous vous en souvenez ?

J’en ai énormément mais celle qui m’a choquée le plus est la suivante. En 2019, j’ai fait face à une triple discrimination audiste (validiste), sexiste, raciste, parce que dans une situation où je n’arrivais pas à entendre, j’avais demandé à avoir des aménagements raisonnables et la personne m’a répondu :  » un noir au milieu de 40 blancs ça s’adapte, pourquoi toi tu n’arrives pas à t’adapter ». Je l’ai ressenti comme une attaque très forte et particulièrement choquante. J’ai déposé un signalement auprès de UNIA. Malheureusement, au bout de huit mois, j’en suis sortie épuisée car cela a commencé à devenir du harcèlement. J’ai laissé tomber car ce racisme me rendait malade, et j’ai démissionné.

Des micros agressions quotidiennes, on connaît bien, ce sont des petites phrases qu’on nous jette à la face quand une personne noire ou arabe ou comme moi pakistanaise au milieu d’un groupe de personnes blanches, forcément à un moment donné on est mis de côté, ou alors on vous met là un peu comme un token. Comprenez par là : bah voilà on est n’est pas raciste, on a  » Carine » (qui est noire), en plus comme on « intègre » les personnes en situation de handicap, on a  » Shahin », qui est sourde. Donc ces multiples identités qui se croisent et qui font de l’intersectionnalité pour moi une grille d’analyse très importante qu’on doit vraiment bien comprendre pour la travailler parce qu’aujourd’hui elle n’est pas très bien comprise. C’est vraiment une grille d’analyse si on la contextualise et que les personnes sont soumises à des discriminations non seulement qui sont croisées, mais aussi à des discriminations dans le temps ; vraiment si on peut objectiver et faire des études ça serait super car ça permettra de montrer une réalité que les gens ne comprennent pas. Par exemple, moi quand j’ai déposé mon signalement chez Unia, ils m’ont dit il faut choisir une plainte soit pour cause de racisme, sexisme, ou encore le validisme et là on a préféré le validisme car dans mon travail j’ai besoin des aménagements raisonnables et donc ce qui s’est passé c’est qu’on a mis le racisme de côté. Et ça pour moi ça n’allait pas, il fallait qu’on traite les 2 conjointement, mais là la personne a individualisé les cas en me disant :  » ah mais c’est des bêtises, la personne qui a dit ça n’a pas réfléchi », je dis  » si, la personne qui a dit ça a très bien réfléchi à ce qu’elle a dit, sinon elle n’aurait pas dit un truc aussi gros ». Pour moi on a encore tendance à excuser les personnes qui tiennent ce genre de propos e ton individualise les faits de racisme alors qu’il doit être compris de manière systémique.

A un moment j’en ai tellement eu de petites agressions comme ça, un jour par exemple en sortant du tram, j’étais à l’époque avec mon compagnon, il était blanc, on est sorti du tram, il y avait 2 femmes noires qui descendaient, un vieux monsieur et celui-ci au moment de descendre a regardé mon compagnon et lui a dit ‘‘ vous ça va hein, vous faites un peu dans le raffiné, pas comme les 2 là qui viennent de descendre » et mon compagnon n’a pas compris, et moi j’étais pétrifiée. Il était en train de  »grader » les races, de faire der moi et de ces deux femmes des objets disponibles au regard de l’homme blanc ; choisir une un peu plus raffinée, car j’ai une teinte de peau juste un peu plus claire que ces femmes, ça été ultra violant pour elles, ultra violent pour moi aussi, car  »l ‘homme blanc » décide de qui est supérieur à l’autre; et j’ai demandé à mon compagnon pourquoi il n’ pas réagi, et il m’a dit c’est juste un con, et moi aussi j’étais tellement sur le choc que je n’ai pas su réagir, je n’ai pas su quoi dire, mais maintenant, je suis mieux armée pour faire face à ce genre de situation. En 2020, je suis tombé malade, et c’est une maladie qui est clairement liée à toutes ces attaques racistes qu’on subit quoi, et qu’on doit montrer qu’on est fort, qu’on résiste à ça, mais à un moment donné on arrive plus à résister à ça et on craque, le corps craque.

Que diriez-vous aux personnes qui sont au-dessus de la ‘’hiérarchie’’ ?

Je leur dirais d’écouter les personnes concernées et ne pas minimiser ce qu’elles disent. A des postes de pouvoirs, ce sont uniquement les personnes blanches qui sont là, qui ne vivent pas le racisme, qui ne se posent pas non plus la question de la présence qu’elles ont et l’influence qu’elles ont si elles veulent vraiment être des alliées de la lutte anti-raciste, je pense qu’à un moment donné il faut qu’elles se rendent compte et qu’elles refusent peut-être des postes et laisser la place à des personnes racisées qui vivent la discrimination et les plafonds de verre et n’arrivent pas à le casser parce que ça reste; on leur fait comprendre que leur place est là et l’affaire Ishane Haouach est clairement le reflet de cette réalité, on te fait comprendre que ta place n’était pas là, on te fait clairement comprendre qu’il faut pas aller trop loin et dire  »merci d’avoir ce que vous avez déjà ».

Que diriez-vous aux personnes qui vivent la même chose que vous ?

‘Selfcare ». Prenez soin de vous parce que quand on arrive au stade ou on est malade, parce que moi je suis arrivé à ce stade, mon corps à mal, je suis en arrêt maladie et je ne peux plus travailler pour le moment, donc je dis il y a des batailles que pour le moment on sait pas gagner et je pense qu’il faut choisir et se positionner là où on sait qu’on a un contrôle et sinon fuir ce n’est pas être lâche, mais pouvoir se sauver, se sauver soi-même aussi et avoir des moments où on peut se faire du bien, et ce côté surtout est très important

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