Les victoires européennes de l’extrême-droite inquiètent le monde associatif belge : « Les personnes racisées se sentent de moins en moins en sécurité »

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La montée de la droite dure s’accompagne d’une libération de la parole raciste et d’une appropriation décomplexée des discours identitaires, alerte Esther Kouablan, Directrice du Mrax.

« Le peuple français historique en a plein le cul de tous les bicots. Tu peux faire des pieds et des mains avec tes invités islamo-gauchiasses, tu n’y changeras rien, le souchien ne t’acceptera jamais, ni toi, ni tes frérots. »

Voici quelques des phrases qui composaient une lettre anonyme reçue par Karim Rissouli chez lui il y a quelques jours. Dans un témoignage vidéo , le journaliste français, qui présente « Cce soir » et « C Politique » sur France 5, expose sa crainte de voir une libération de la parole raciste en France qui accompagnerait la montée de l’extrême-droite.

« Nos droits, nos acquis, on ne sait pas si on va pouvoir les garder », s’inquiétait la semaine passée Kiddy Smile , le chanteur, DJ et producteur qui avait été invité par Emmanuel Macron à se produire à l’Elysée en 2018.

En France, la percée électorale spectaculaire du Rassemblement national aux européennes puis aux législatives fait craindre le pire aux associations de lutte contre le racisme et aux organismes de défense des droits des minorités. En Belgique, l’extrême droite a été écartée de la possibilité de monter au pouvoir par les votes des Belges le 9 juin, mais ses idées sont toujours présentes dans la société et sur les réseaux sociaux.

« On observe depuis des années une banalisation du discours de haine en Belgique », explique Esther Kouablan, directrice de l’ASBL Mrax, Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. « Sur les réseaux sociaux, des utilisateurs ont posté des vidéos avant les élections dans lesquelles ils insultent et ils traitent certaines populations de racailles et de profiteurs du système. Ils leur disent que ça ne va pas bien se passer pour eux. Actuellement, avec la crise économique et la hausse du coût de la vie, les populations sont souffrantes, elles ne s’en sortent plus et elles prennent comme bouc émissaire les personnes issues de l’immigration. »

Esther Kouablan regrette que rien ne soit fait pour mettre fin à ces discours qu’elle voit légitimés par un cadre politique plus permissif. « À Bruxelles, les personnes racisées se sentent de moins en moins en sécurité avec les victoires de l’extrême droite. Certains font des cauchemars. Ils se demandent s’ils peuvent encore sortir tranquillement pour se poser en terrasse ou simplement acheter du pain. »

Chez Unia, le centre pour l’égalité des chances, on déclare ne pas avoir enregistré une hausse des plaintes pour faits de racisme ces derniers mois. Une hausse des discours de haine a, par contre, été observée depuis la fin de la modération sur Twitter devenu X après le rachat par Elon Musk. Et surtout, le vote d’extrême-droite n’est plus un vote honteux.

 » Dans la société et dans la vie de tous les jours, lors des rencontres des associations de parents et ou des réunions de famille, on a moins de honte et on se cache moins d’être sympathisants et de voter pour le Vlaams Belang », relève Patrick Charlier, directeur d’Unia, à propos de la Flandre. « Au sud du pays, c’est différent, parce qu’il n’y a pas d’offre politique. Les partis comme Chez Nous n’ont pas scoré. » 

 » En Flandre, le discours d’extrême-droite est tenu par le VB, qui combattait autrefois pour l’indépendance de la Flandre mais qui, sous l’influence du FN français de Jean-Marie Lepen, s’est transformé en parti anti-immigration. C’est devenu leur fonds de commerce », retrace Manuel Abramowicz, coordinateur de l’Observatoire belge de l’extrême droite RésistanceS. « Des études universitaires et des témoignages de rue ont montré que, depuis plusieurs années, ces thèmes qui constituent le fonds de commerce de l’extrême droite circulent en Belgique. Le thème de la sécurité et de l’insécurité, le thème de l’immigration présentée sous forme d’invasion… À force d’être matraqué par le vocabulaire d’extrême droite, on finit par reprendre ces propos sans s’en rendre compte. » 

Selon Malik Ben Achour (PS), la campagne électorale a favorisé l’émergence de positions clivantes et de prises de position violente. « J’ai senti une poussée identitaire apparaître à côté de la droite « pro-business » tout à fait légitime et que l’on connaît bien », témoigne le sénateur issu de Verviers. « J’ai fait de nombreuses campagnes depuis 2006, souvent en tant que candidat. Mais c’est la première fois que je constate autant de destructions de panneaux, de tags, d’arrachages d’affiches… qui visaient souvent les personnes avec des noms à consonance étrangère. Certains sont allés coller une tête de cochon sur les affiches d’un échevin à Malmedy d’origine turque dans certains territoires très marqués à droite. Ce courant vient de France, on sent les influences de Bardella et Marine Le Pen qui contaminent la droite francophone. » 

Le socialiste rejoint l’analyse du Mrax sur la prise pour cible des pauvres et des étrangers. « On entend aujourd’hui de façon plus décomplexée qu’on en a marre, qu’il est temps de faire payer les Arabes et les fainéants. Et l’angle mort de moins en moins caché de cette logique identitaire qui se déploie à droite, c’est toujours la figure du musulman. Nous sommes face à une accélération de l’histoire qui risque à un moment ou l’autre de déraper. » 

Un article de Gauvain Dos Santos, journaliste à la DH.

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<p>Des sympathisants du parti d’extrême droite flamand Vlaams Belang lors d’un meeting, le 2 juin 2024 à Anvers</p> Crédit photo : AFP

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