Aujourd’hui j’ai assisté au procès des policiers impliqués dans la mort de Ibrahima Barrie.
J’ai rarement eu l’occasion d’être témoin d’une négrophobie structurelle aussi décomplexée. J’en suis encore choquée.
Pour rappel, Ibrahima Barrie, 23 ans, est mort d’un « arrêt cardiaque » dans un commissariat de Bruxelles en janvier 2021.
De nombreux articles de presse parlent de la condamnation avec sursis de trois des policiers impliqués. Je ne reviendrai pas sur le prononcé du jugement en lui-même, mais sur le contexte qui a entouré ce prononcé.
Entrée du Palais de Justice, quelques minutes avant le début de l’audience.
Une vingtaine de personnes noires attendent avant le portique de sécurité. Parmi elles, la famille d’Ibrahima, parties civiles dans le procès.
Alexis Deswaef – leur avocat – demande de les laisser passer parce que le procès va commencer.
Le ton monte immédiatement et un des agents de sécurité dit qu’ils ont « des ordres de la police de ralentir le passage de sécurité ».
L’avocat explique que ce n’est pas possible et que les parties civiles doivent pouvoir rejoindre la salle d’audience.
L’agent de sécurité estime qu’il « fait son travail » et que ce sont « les ordres de la police ». L’avocat rétorque que dans le cas d’espèce la police est partie au procès.
Je tente de calmer la tension sans résultat. L’agent m’explique à nouveau qu’il y a des ordres de ralentir le passage.
A mon arrivée dans la salle d’audience, la scène est édifiante. Beaucoup de public et uniquement des blancs.
Je n’aurais jamais imaginé qu’au Palais de Justice de Bruxelles, une ségrégation pareille soit possible.
Une assistante de l’aide aux victimes doit intervenir pour essayer de faire entrer les membres de la famille. Ils finissent par arriver au compte goutte, choqués. Plusieurs personnes sont en larmes, tellement la situation a été inutilement tendue.
Un jeune homme noir s’assied dans la salle. Il vient assister au prononcé. La huissière d’audience lui demande sa carte d’identité, elle ne la demande pas aux autres gens. J’interviens et lui dit qu’elle n’a pas à lui demander de prouver son identité. Elle prétend qu’elle doit vérifier qu’il n’est pas partie civile sur sa liste.
Ridicule, il n’est pas membre de la famille et il l’aurait su s’il était partie civile. Elle abandonne son « contrôle d’identité » improvisé et en s’en allant lance « ici en Belgique, on est obligé d’avoir une carte d’identité », en insistant sur le « en Belgique ».
Ma cliente Soumaya Abouda – la soeur de Sourour Abouda, également morte dans un commissariat de Bruxelles – s’assied à côté de moi. Elle a filmé la scène de l’entrée du palais.
Un policier entre dans la salle et lui ordonne de le suivre hors de la salle. Elle est paniquée et je l’accompagne. Le policier lui ordonne d’effacer les images. Je lui explique qu’il n’a pas de base légale pour cet ordre. Vu l’incident à l’entrée, nous souhaitons garder des preuves. Il se montre tantôt méprisant, tantôt menaçant pendant de longues minutes, puis soudainement change d’avis et nous permet d’assister au prononcé.
Le prononcé est très long. Je ne me prononcerai pas sur son contenu.
Fin de l’audience.
Habituellement, lorsqu’il y a une possibilité d’arrestation immédiate, des policiers en uniforme entrent dans la salle pour empêcher les personnes condamnées de fuir.
Aujourd’hui nous avons assisté médusés à l’arrivée d’une colonne de policiers qui faisait face aux parties civiles pour « protéger » leurs collègues.
J’ignore à qui cette démonstration de force était destinée, mais elle n’a pas lieu d’être dans un tribunal.
Les parties civiles étaient parfaitement calmes, elles n’ont rien dit, à aucun moment.
Ce témoignage n’a d’autre but que de montrer le racisme structurel. Aucun des intervenants n’a conscience d’être raciste, ils sont peut-être même convaincus de ne pas l’être, mais le résultat est là : les blancs ont pu passer facilement et les noirs ont été contrôlés et fouillés.
Cette ambiance d’une hostilité palpable à l’égard des victimes était plus que dérangeante. Je ne vois aucune explication rationnelle à l’attitude de la police et des agents de sécurité. Et c’est normal la négrophobie est irrationnelle.
Ces évènements se sont déroulés ce vendredi 28 juin 2024.