Un rapport abusivement complaisant, orienté et partial

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En mars 2005, le Centre pour l’Egalité des Chances a publié un rapport singulièrement consensuel à propos des « expressions actives de convictions religieuses ou philosophiques dans la sphère publique ».

Cette étude prétend montrer comment l’on gère le « vivre ensemble » dans notre pays et plus particulièrement la diversité des convictions religieuses ou philosophiques dans le monde du travail, à l’école, dans les administrations et dans les médias. Mais au cours de leur enquête, les auteurs disent « constater un décalage manifeste entre le nombre réduit de cas évoqués lors des entretiens et le nombre plus conséquent de cas dont le Centre est informé suite à des plaintes, des demandes d’information ou d’autres interventions et témoignages ». Cette constatation aurait dû suffire à alerter les auteurs sur l’inadéquation de leur méthode.

En effet, pour nous donner cette « photographie de la situation », le Centre s’est délibérément limité à n’interroger que les « personnes qui prennent ou peuvent prendre une décision en la matière » et qui ont donc le pouvoir de limiter l’expression individuelle des personnes qui sont sous leur autorité. Cette approche partielle de la situation aurait eu son mérite si elle visait, justement, à montrer en quoi les relations d’autorité ont, ou non, un impact dans la gestion de cette diversité, et comment l’opinion, les préjugés ou simplement les convictions personnelles des décideurs orientent plus ou moins la manière dont ils respectent un certain droit à la différence et une égalité des chances entre les uns et les autres. Or, cette dimension est sciemment occultée de l’étude qui a tenu à privilégier « la position institutionnelle » des organismes consultés, au détriment de toute « opinion personnelle officieuse ». Il est vrai que le Centre qui a pour mission officielle de combattre les discriminations, aurait difficilement pu recevoir directement des témoignages dévoilant ouvertement des opinions potentiellement douteuses. Mais dans ce cas, quel crédit accorder à une « consultation » qui ne livre que le point de vue officiel de ceux qui ont le pouvoir de décider, et donc d’imposer parfois leurs préjugés et/ou leurs (in)tolérances, sans les dévoiler, et surtout, sans tenir compte du point de vue de celles et de ceux qui sont contraints de s’y soumettre ?

Signalons que selon les propres chiffres du Centre, publiés récemment, la religion constitue aujourd’hui le second critère le plus visé par les discriminations. En 2004, elle représente, tout comme la nationalité, 10% des plaintes reçues par le Centre, après l’origine des victimes qui en totalise 37% (notons aussi que cette forme de discrimination est en explosion puisqu’en 2003 la religion ne représentait que 6% des cas de discriminations « non raciales »). C’est dire si « l’expression des convictions religieuses » est source de réels tensions et conflits dans notre pays, même si ceux-ci sont souvent peu visibles, à la fois en raison du contexte professionnel (relation d’autorité et peur de perdre son travail), de l’effroyable réalité des discriminations du marché du travail (les allochtones étant concentrés dans les postes subalternes) et des difficultés à faire valoir ses droits en justice et à prouver les discriminations et autres faits de racisme.

Une véritable « photographie de la situation » aurait donc dû donner une équitable parole aux personnes qui vivent concrètement cette (potentielle) diversité et veulent parfois exprimer leur identité religieuse en dehors de la sphère privée, à l’école ou sur leur lieu de travail. C’est alors qu’on aurait pu voir les tensions à l’œuvre et saisir comment celles-ci sont effectivement gérées dans notre pays. On aurait alors mieux compris les raisons de ce décalage entre le point de vue « institutionnel » livré par les décideurs et la réalité des plaintes, des discriminations ou simplement du mal-être vécu par certains de nos concitoyens.

Mais en réalité, sous le couvert de quelques avertissements oratoires, la véritable ambition du rapport du Centre fut de s’ériger telle une véritable « consultation » sur « l’opportunité d’une initiative réglementaire ou législative » en matière d’expression des convictions religieuses dans l’espace public. Consultation qui est, rappelons-le, confisquée du débat démocratique, pour ne laisser la parole qu’à ceux qui l’avaient déjà… Consultation enfin, qui n’apporte aucune surprise quant à son résultat : une majorité de décideurs ne désirent pas qu’on décide à leur place. Rien de vraiment surprenant !

Voilà pourquoi le MRAX entend réaliser un « rapport bis » sur cette problématique, en mettant à jour les logiques de domination et d’exclusion qui la traverse. Nous souhaitons donner la parole à celles et ceux qui subissent ou non des restrictions à l’expression de leur liberté religieuse ou philosophique, afin qu’elles puissent cette fois « s’exprimer activement ».

Didier de Laveleye

APPEL À TÉMOINS

Dans le cadre de son « rapport bis » sur l’expression des convictions religieuses ou philosophiques dans la sphère publique, le MRAX recherche des témoignages de personnes qui vivent ou ont vécu personnellement une situation particulière, heureuse ou malheureuse, dans le cadre de leur travail, à l’école ou face à un service public. Comment vivez-vous votre différence dans vos relations de travail ou à l’école ? dans la rue ? entre collègues et avec la direction ou les professeurs ? Comment cette cohabitation est-elle gérée par l’établissement ? Y a-t-il égalité de traitement entre les uns et les autres ? existe-t-il un règlement ou une pratique spécifique pour gérer ce type de problème ? Si oui, cette pratique a-t-elle fait l’objet d’un débat avec les personnes concernées ? Considérez-vous qu’il serait nécessaire de protéger davantage votre liberté religieuse ou philosophique dans une loi générale ?

Contact : Aurélie Leroy – 02-209 62 56. 37, rue de la poste – 1210 Bruxelles.

Les deux rapports cités peuvent être téléchargés sur www.diversite.be.

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