Tous.te.s ont droit à tous les droits

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Auteure : Habiba Boumaâza
Traduction NL-FR : Rudi Nuytemans

Adama est sans papiers de séjour. Il habite déjà douze ans à Bruxelles et essaie de comprendre pourquoi les circonstances de vie continuent à être si difficiles. Lui aussi a des droits, non ? Et il n‘est pas le seul, le nombre des sans-papiers est estimé à 150.000 en Belgique. Adama nous a permis de regarder dans les coulisses de sa vie.

Adama

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est une déclaration adoptée, le 10 décembre 1948, par l’Assemblée générale des Nations Unies pour déterminer les droits de l’homme. Elle contient trente articles, et tous les Etats membres des Nations Unies sont considérés souscrire à cette Déclaration.


Article 30: 
Aucun état ni personne ne peut essayer de détruire les droits, énoncés dans cette Déclaration.

Adama (40) est un peintre et plafonnier indépendant, originaire de Mauritanie. Dans son pays d’origine, l’esclavage n’est devenu illégal qu’en 2017 et même il y sévit encore fort. La discrimination de la population noire était tellement violente qu’Adama a décidé en 2009 de partir. Depuis, il vit en Belgique, où il a passé d’une procédure à la recherche de documents de séjour à l’autre. Sans résultat.

« La première fois, j’ai dû attendre le jugement concernant mon dossier pendant trois ans et demi et la seconde fois deux ans. » nous raconte-t-il. C’est long, entre-temps je me suis établi ici et j’ai trouvé un chez moi. Ma vie sans papiers en Belgique est épuisante et lourde, mais quand même la vie ici reste bien meilleure qu’en Mauritanie. Donc je continue à patienter et à espérer. »

Adama a obtenu son diplôme de jardinier pendant sa procédure d’asile. Actuellement il accepte toutes les commandes qui croisent son chemin. A côté de cela, il aide à coordonner, en coulisses, la Coordination des Sans-Papiers de Belgique, un collectif activiste d’organisations solidaires. Ils aspirent à la régulation d’hommes, femmes et enfants sans permis de séjour, de sorte qu’ils puissent mener une vie digne de ce nom. Le collectif est surtout actif à Bruxelles et en Wallonie. Collaborer avec des mouvements solidaires en Flandre parait compliqué, malgré les tentatives; lier des relations avec des compagnons d’infortune dans la partie flamande se déroule péniblement.

Article7:
Tous doivent être traités de la même manière selon la loi.


L’absence de documents de séjour valables ne devrait pas être la cause d’une sanction pénale lourde qui est en application : l’emprisonnement dans les marges de la société. Parfois la réclusion à vie. Adama participe à la société, il fait partie du système socio-économique, mais il ne reçoit pas les opportunités, il a moins de certitudes et trébuche sur des droits fondamentaux qui s’écroulent. Son histoire n’est pas une nouvelle histoire; ce n’est qu’un exemple de ce qui se passe depuis des décennies avec les personnes sans papier.

Adama raconte : « On ne parle presque pas des circonstances dans lesquelles on nous force à vivre. J’entends dire des gens que c’est bien notre faute à nous qu’on est dans cette misère. Combien de temps et avec quelle insistance est-ce que je dois encore prouver qu’un retour au pays est exclu ? Et d’ailleurs de quoi est-ce qu’on m’accuse au juste ? Je ne vole pas, j’ai une profession, j’accepte tout travail qu’on me donne, j’ai des capacités. Et je ne suis pas seul. »

« Ici, beaucoup de personnes vivent dans de telles circonstances depuis plus de dix, vingt ans. Nous, on achète, comme tout le monde, de la nourriture et des vêtements, nous payons les factures de téléphone, d’électricité et d’eau, on achète un ticket pour avoir accès au transport public. Alors pourquoi nous faut-il vivre continuellement dans la peur et l’insécurité ? » c’est ce que Adama se demande.

La discrimination et l’insécurité constante sont un lourd fardeau pour les personnes sans papier. En outre, de par leur situation précaire, elles sont aussi des proies faciles pour des exploiteurs louches, des vautours (des propriétaires) sans scrupules et des bandes criminelles.


Article 23: 
Tu as droit au travail dans la profession que tu choisis toi-même. En même temps tu as droit à un salaire équitable pour ton travail. Hommes et femmes doivent recevoir la même rémunération pour le même travail.

Un salaire minimum, bâtir une ancienneté, chèques-repas, les frais de transport couverts, le treizième mois, un congé payé, un délai de préavis lors d’un licenciement, tout cela était exclu pour Adama ici en Belgique – même après y avoir travaillé pendant 12 ans. Et il ne pourra jamais les réclamer non plus avec effet rétroactif.

Il se sait heureux qu’il ait rencontré jusqu’ici des employeurs qui l’ont rémunéré de façon équitable: entre 60 et 100€ par jour. Voilà une chance à être vraiment reconnaissant, car – en cas de sans papiers – les salaires sont d’un niveau extrêmement bas, c’est vraiment stupéfiant. Certains témoins parlent de 15 à 20 euro par jour, et cela pour des journées de travail de 12 heures et plus. Les personnes sans documents de séjour valables ne peuvent pas revendiquer des primes de naissance, des allocations-maladie ou pension. De la même manière, des personnes âgées, des malades de longue durée et des personnes avec une vulnérabilité psychique n’ont nullement accès à une insertion.

Depuis le début de l’épidémie corona en mars 2020, les circonstances de vie se sont encore alourdies. Les jobs qu’Adama a faits sont permis, mais lui aussi bien que les employeurs ont peur des contrôles, et du virus. Plongeurs, nettoyeurs, garde-enfants, soignants, ouvriers du bâtiment, agriculteurs, marchands forains… la plupart ont vu s’arrêter leur maigre revenu dans les taudis de l’économie dans l’ombre et cela de façon abrupte. Tout comme les centres d’accueil (les maisons ouvertes) où ils trouvaient sécurité et accompagnement et des groupes de compagnons d’infortune à qui ils pouvaient s’adresser avec leurs soucis ou leurs questions. Là où ils se sentaient déjà ignorés par le système global et mis le dos au mur, le virus les pousse maintenant complètement dans un coin.



Article 3: 

Tu as droit à la vie en liberté et en sécurité.

Depuis le lancement des mesures d’urgence dans le cadre du COVID-19, la police peut contrôler ton identité sans aucune raison et te poser des questions sur ton va-et-vient quotidien. Adama a déjà été contrôlé deux fois quand il se trouvait seul dans la rue. Ils lui ont demandé d’où il venait, où il allait, et en l’absence de documents, il a dû passer les données de son domicile.

Ce contrôle était-il bien nécessaire pour empêcher le virus de se propager? Que vont-ils faire avec ces données? Et est-ce que cela aura une influence sur sa procédure en cours? Ont-ils la possibilité de venir l’arrêter à son domicile? Et s’ils font irruption et ses colocataires sont là, peuvent-ils alors leur donner des amendes ou les enfermer?

Des personnes sans documents ne se sentent plus en sécurité dans leur propre domicile ; la police peut – tout comme le virus – faire irruption à tout moment et les seules garanties dont ils disposent encore vont se dissiper. Beaucoup d’entre eux s’enferment à la maison, et ils sortent seulement en cas de nécessité. Evidemment il leur est tout à fait impossible de faire appel eux-mêmes à la police quand il se trouvent dans une situation dangereuse.

Article 25: 
Tu as droit à un niveau de vie suffisant pour assurer ta santé, ton bien-être, notamment pour la santé, l’alimentation, le logement (un toit au-dessus de la tête). La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance particulières.

« Avant, nous avions des problèmes, mais maintenant on a peur de surcroît. » raconte Adama. « C’est un handicap supplémentaire. Nous avons peur des contrôles, peur de la discrimination, peur du virus. La peur domine aussi d’être testés positivement. Pour ceux qui vivent nombreux dans un appartement ou immeuble, c’est une vraie catastrophe. Encore plus vrai quand des femmes et des enfants y habitent, et quand les enfants sont empêchés d’aller à l’école. Alors il faut partir afin de protéger les autres, sinon on te met à la porte. L’inverse vaut aussi : des personnes qui vivent cachées dans la rue parce qu’elles ont peur d’attraper le virus chez elles dans leur logement.

Au cas où des personnes sans papier osent se risquer dans un hôpital – où elles sont seulement aidées quand elles peuvent présenter une lettre de laisser-passer avec le cachet ‘urgent’ dessus – on vit dans la peur à côté de celle de la maladie la peur des factures ou d’autres conséquences de leur check-in.

Article 24:
Tu as droit à des loisirs et à des congés.

« Je suis extrêmement reconnaissant envers le syndicat (la ACV-CSC s’engage spécifiquement pour les personnes sans papiers, réd), envers les organisations, les communautés, les connaissances et amis qui aident à faire les courses et à organiser l’alimentation, » selon Adama. « On organise des collectes de fonds pour pouvoir payer les loyers. Beaucoup de personnes, n’ayant pas de papiers non plus dans le temps mais qui séjournent maintenant d’une façon tout à fait légale, accourent pour aider pendant la pandémie. »

Mais quand Adama traite de la solidarité à laquelle est confrontée l’organisation, il réagit l’air sombre aussi. Il y a toujours des sans-papiers qu’on ne peut toujours pas atteindre, qui ne trouvent pas de logement ni de nourriture et qui n’ont pas de réseau solidaire pour les accueillir.

Il se fait des soucis au sujet de ceux qu’on ne peut pas atteindre, les contacts qui se dissipent, des personnes qui disparaissent soudain, ou qui meurent. Pour ces derniers, commencent alors une recherche de famille, la collecte d’argent pour les funérailles ou le rapatriement, trouver des moyens pour pouvoir dire adieu dignement. Ils ont dû faire la même chose pour Ilyes, ce jeune homme sans papiers qui est décédé dans la cellule.

La résilience qui anime ce groupe de personnes, peut être considérée pour le moins comme spectaculaire. Se crever des années en des années, survivre et attendre pour réaliser tes rêves, sans une journée de vacances, focaliser pour un happy-ending coûte que coûte. C’est cela qui arrive ici chaque jour devant nos yeux, parmi nous. C’est plein de capacités, de nouveautés et de possibilités ‘invisibles’.



Article 16:
Tu as le droit de te marier et de fonder une famille.

« Pendant ces 10 années, j’ai eu beaucoup de soucis et vu des choses pénibles. Je n’ai toujours pas eu l’occasion de commencer à travailler à mon avenir. Je n’ai pas de famille à moi. Ici il y a une famille d’accueil belge qui m’a pris en charge et qui m’a accompagné comme leur propre fils et frère, malgré eux, ma mère et ma famille biologique me manquent énormément. » nous confie-t-il en regardant en arrière. « Mais je tiens bon. J’attends la fin du lock down, je peux montrer de nouveaux éléments qui vont permettre de rouvrir mon dossier. En outre, je voudrais recommencer à travailler et créer des projets. »

Il n’est pas seul; selon les estimations il y a 150.000 personnes sans papiers en Belgique. Prenons un peu la liste des professions à problème. Sans doute, parmi ces plongeurs et ces gardiennes d’enfants, on compte des informaticiens, des comptables, des chefs de chantier, des ferrailleurs, des vitriers, des conducteurs de grue, des chefs-cuisiniers, des agents de voyage, des boulangers, des techniciens, des imprimeurs, des fabricants de meuble, des fruiticulteurs, des médecins, des opticiens, des facteurs, des chauffeurs de camion, des jardiniers paysagistes…

Ils pourraient y mettre les épaules eux aussi pour supporter la société, s’ils reçoivent l’occasion. Ou bien si nous voulons voir ces opportunités. Tout dépend du point de vue.

Article 28 : 
Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet.

Les autorités doivent veiller à ce qu’existe un ‘ordre’ qui protège tous ces droits.

Le fait que les droits humains sont violés n’est pas uniquement le problème d’Adama ou de personnes sans documents de séjour légaux, c’est le problème de nous tous.

Adama résume à merveille l’essentiel: « La politique, les maires, les habitants légaux de ce pays… ils ne nous connaissent pas. On parle bien de nous, mais non avec nous. Pourtant, nous sommes ici, nous le savons, et eux, ils le savent aussi. Puisque nous existons. »


Vous êtes dans une situation précaire parce que vous n’avez pas de documents de séjour valables ou vous connaissez quelqu’un dans cette situation ? Vous pouvez vous adresser aux organisations suivantes :

Ciré vzw

Pigment vzw

HOBO

Sans papiers TV

Adviescentrum Migratie

Cet article a été précédemment publié en néerlandais sur le site de Kif Kif.

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