Le « syndrome méditerranéen », Reflet des discriminations et du racisme dans le milieu médical

Partagez cet article

syndrome mediterranéen, racisme, hopital
Crédit: Unsplash

L’histoire de Maya, une femme noire qui a été maltraitée dans un hôpital bruxellois a tristement fait le tour de la toile. Depuis, le terme “syndrome méditerranéen” fait surface.. Mais ce concept reste flou et souvent incompris. Quelle est l’origine ? Les étrangers exagèrent ? Le corps médical est raciste ? Décryptage

 

Du racisme dans les hôpitaux ?

« Au service de mes patients, je favoriserai leur santé et soulagerai leurs souffrances. (…) Je veillerai à ce que  des convictions politiques ou philosophiques, des considérations de classe sociale, de race, d’ethnie, de nation, de langue, de genre, de préférence sexuelle, d’âge, de maladie ou de handicap n’influencent pas mon attitude envers mes patients », annonce le serment d’Hippocrate, auquel sont tenu.e.s d’adhérer les médecins.

Or l’actualité récente à Bruxelles, illustrée par le cas de Maya, pousse à questionner la réalité de la mise en pratique de ces vœux. Ne se sentant pas bien après son retour du Sénégal où elle était partie voir son père, elle se présente aux urgences des hôpitaux Iris Sud pour des vertiges et une forte toux. Elle ne sera pas prise au sérieux par les standardistes de l’accueil et témoignera de son expérience traumatisante par une vidéo postée sur les réseaux sociaux, déclenchant un tollé général. Pour autant, la situation qu’a vécue Maya n’est pas une exception ni un cas isolé : elle fait écho en France à l’affaire de Noami Musenga en 2017, qui, moquée par les standardistes du SAMU qui s’impatientent face à ses difficultés à expliquer sa situation du fait de son état,  n’avait pas été prise au sérieux et décèdera du fait d’une prise en charge tardive.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par Cosmétique durables (@saabou_) le

 Vidéo Instagram de Maya

Ces cas de négligence de la part du personnel hospitalier et médical sont souvent justifiés par ce qu’on appelle le « syndrome méditerranéen ». Il désigne une différence de traitement, de soin, de prise en compte des symptômes par le corps médical justifié par l’appartenance ethnique supposée ou réelle d’un.e patient.e (du fait de son apparence physique, son nom, le lieu etc).

Qu’est-ce que le syndrome méditerranéen ?

Aux origines, ce « syndrome méditerranéen » (désormais appelé syndrome nord-africain dans certains cas) repose sur des recherches anthropologiques montrant que les populations méditerranéennes auraient tendance à exprimer leurs douleurs plus ouvertement, voire exagérément. Ces notions anthropologiques sont en fait rudimentaires dans la mesure où elles reposent sur des arguments culturalistes, à pathologie équivalente les douleurs le sont également, seulement le seuil de tolérance à cette douleur peut varier selon une multitude d’éléments. Cette incompréhension s’explique par des modes d’expression de la douleur culturellement différents. En réponse à cela, les soignant.e.s adopteraient une logique d’amoindrissement de ces souffrances, minorant le ressenti et la gravité de l’état de santé d’une certaine catégorie de personnes.

C’est à ce moment qu’entrent en jeu les stéréotypes racistes selon lesquels les populations noires et maghrébines seraient de « mauvais.e.s patient.e.s », des patient.e.s qui surjouent leur douleur. Ce qualificatif se base sur le caractère prétendument plaintif, angoissé ou douillet, mais aussi des fois la barrière de la langue, des difficultés à communiquer avec le personnel soignant.

La prétendue race est alors, tout comme l’âge ou la pathologie, perçue comme un élément pertinent pour rendre compte des problèmes ou des comportements d’un.e patient.e. On observe alors une tendance à pathologiser les comportements jugés anormaux des « étrangers », retenant qu’à pathologie équivalente, l’expression de la douleur est plus marquée chez les populations dites « méditerranéennes », (et désormais par extension, aux populations nord africaines et maghrébines).

syndrome mediterraneen, mrax, racisme, hopital
Crédit: Unsplash

Les travaux de nord-américains, notamment Spitzer[1] et McDonald[2], ont documenté ce risque, traduisant des similitudes dans le fonctionnement des systèmes de santé occidentaux. Par exemple, en cancérologie, la détection précoce de la maladie peut être retardée par des difficultés de communication et les préjugés des soignant.e.s. Dans une maternité canadienne, le fait que les femmes immigrées ou amérindiennes soient perçues comme douillettes, se plaignant facilement, explique qu’elles soient plus souvent renvoyées chez elles avec une infection que les femmes blanches.

Tous ces éléments témoignent en réalité d’une violence symbolique ayant des répercussions physiques à l’encontre des personnes racisées, bien que le caractère raciste de ces traitements soit largement nié dans le monde médical, comme le montre les réponses du docteur Roger Hallemans, directeur médial adjoint des hôpitaux Iris Sud où a été reçue Maya : « On rejette toute allégation de racisme« , « Il n’y a aucun racisme dans les unités. On travaille avec des infirmières de toutes origines multiculturelles.« [3]

Or, il est de plus en plus visible que ces inégalités sont fondées sur une prétendue race et se matérialisent au niveau de la santé par des préjudices dus à la négligence du personnel. Comme l’écrivent certains auteurs anglo-saxons tels que Spitzer et Hopkins Kavanagh[4], les minorités visibles à l’hôpital ont le sentiment d’être invisibles, et il ne s’agit pas seulement d’un sentiment d’invisibilité, mais d’une véritable mise en danger d’autrui lorsque des traitements inappropriés sont prescrits. Le caractère collectif et la pratique globalement admise du syndrome méditerranéen en font un élément constitutif du racisme structurel dans les systèmes médicaux des pays occidentaux, la Belgique ne faisant pas exception.

Comment combattre ce phénomène ?

Il est donc nécessaire de déconstruire les préjugés et stéréotypes racistes qui nuisent aux relations humaines et publiques, mais aussi d’apprendre et respecter les différences portées par une société multiculturelle. Pour ce faire, des moyens concrets peuvent être mis en place, comme normaliser la présence d’interprètes dans les hôpitaux, diversifier les personnels médicaux, mais aussi améliorer les conditions de travail de ces personnels qui se sentent surmenés et opèrent donc des tris dans les patient.e.s, les amenant à en négliger certain.e.s.

Ainsi, le racisme, même inconscient dans le milieu médical est accentué par des conditions de travail difficiles, bien que cela ne soit pas une excuse qui justifie les discriminations.

Par ailleurs, un travail doit être mené en amont dans la formation du corps médical car une certaine méconnaissance des manifestations de certains symptômes sur les corps noirs par exemple. La diversité doit donc être introduite dès la formation dans les livres, les cas pratiques etc. De cette façon, il serait possible de réduire les inégalités de traitement et lutter contre le racisme structurel.

 

Emmanuelle Thyot, étudiante en 3ème année à Sciences Po Toulouse.

 

Bibliographie/ Pour aller plus loin :

 

 

[1] Spitzer D. L., 2004, “In visible bodies: minority women, nurses, time, and the new economy of care”, Medical Anthropology Quarterly, 18(4): 490-508.

[2] McDonald D.D., 1994, “Gender and ethnic stereotyping and narcotic analgesic administration”, Researches in Nursing and Health, 17: 45-49.

[3] RTBF. (26 septembre 2020). Accueil à l’hôpital sur fond de racisme ? Une femme témoigne à Bruxelles, https://www.rtbf.be/info/societe/detail_accueil-a-l-hopital-sur-fond-de-racisme-une-femme-temoigne-a-bruxelles?id=10593889&fbclid=IwAR0qCuMAgplGOLyj1iNHnJ6hKzA6XFNZH0mnb29_ngND3_Q9PVRIthFdgZ4

[4] Hopkins Kavanagh K., 1991, “Invisibility and selective avoidance: Gender and ethnicity in psychiatry and psychiatric nursing staff interaction”; Culture, Medicine and Psychiatry, Vol 15, n° 2.

 

 

Inscrivez-vous !

Vous souhaitez être tenu au courant de nos actions ?