Quand la police de l’audience enfreint la liberté religieuse

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L’arrêt Lachiri c. Belgique dévoile une réalité trop souvent cachée, à savoir une discrimination largement répandue impliquant l’Etat, représenté ici par le juge, qui au nom de la police de l’audience enjoint à des justiciables d’ôter, le plus souvent leur foulard, afin que leur affaire soit entendue.

Ce mardi 18 septembre 2018, la Cour européenne des droits de l’Homme, gardienne des droits fondamentaux, a estimé que l’exclusion de la requérante, Hagar Lachiri, de la salle d’audience en raison du port du foulard constitue une violation de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme et partant une restriction à sa liberté de pensée, de conscience et de religion.

Dans cette affaire, la plaignante ainsi que d’autres membres de sa famille se sont constitués partie civile dans le cadre de la procédure ayant suivi le meurtre de son frère. A l’entrée de la salle d’audience de la chambre des mises en accusations, le greffier a, au nom de la présidente du tribunal, sommé la requérante de se présenter à découvert (sur base de l’article 759 du Code judiciaire belge) sous peine de ne pouvoir assister à l’audience. Devant cette obligation non justifiée d’obtempérer, la requérante dû quitter la salle.

La question principale portait sur l’interprétation de l’article 759 du Code judiciaire ainsi formulé « Celui qui assiste aux audiences se tient découvert, dans le respect et le silence ; tout ce que le juge ordonne pour le maintien de l’ordre est exécuté ponctuellement et à l’instant. »

La Cour de Strasbourg a considéré que cette disposition vise à prévenir les comportements irrespectueux à l’égard de l’ordre judiciaire ou encore les perturbations du bon déroulement d’une audience.[1] Qu’en tant que simple citoyenne, Mme Lachiri « […] n’est pas représentante de l’État dans l’exercice d’une fonction publique et ne peut donc être soumise, en raison d’un statut officiel, à une obligation de discrétion dans l’expression publique de ses convictions religieuses »[2].

Le raisonnement de la Cour s’est borné à examiner si l’exclusion de Mme Lachiri était justifiée par le maintien de l’ordre[3]. Dans ce sens, et à la lumière des faits qui lui ont été rapportés, la haute juridiction a considéré à juste titre que la façon dont la requérante s’est comportée n’a en aucun cas été de nature à constituer une menace pour le bon déroulement de l’audience ni été irrespectueux.

La théorie des apparences selon laquelle « Justice must not only be done ; it must also be seen to be done [4]», ne fait-elle pas légitimement naitre dans le chef des citoyens « la confiance dans l’indépendance et la neutralité politique des autorités (…) »[5] ? Le respect et la confiance des citoyens ne devraient-ils pas découler raisonnablement de l’aptitude du système judiciaire de s’acquitter de sa tache de manière impartiale, indépendante et objective ?

Nous le répétons, le cas de Mme Lachiri est loin d’être isolé. Le service juridique du Mrax a, de manière récurrente, écho de cas d’exclusion de salle d’audience en raison du port du foulard par l’une des parties au procès. Par ailleurs , le Centre des droits de l’homme de l’Université de Gand a rapporté lors d’une enquête menée en 2016[6] que, parmi les magistrats sondés, 11% des juges néerlandophones et 17% des juges francophones ont reconnu  avoir fait usage de l’article 759 du Code judiciaire pour demander le retrait du couvre-chef religieux.

Selon la religion dont ils expriment l’appartenance, les signes sont plus ou moins problématiques. En effet, il ressort des résultats obtenus qu’ « un faible pourcentage des magistrats, mais non moins significatif, a une perception négative du voile islamique, sans doute en raison des préjugés croissants »[7].

Le flou juridique résultant du pouvoir discrétionnaire des magistrats dans leur interprétation de ce que pourrait constituer une perturbation au « maintien de l’ordre » et par conséquent l’exclusion de toute personne arborant un foulard, une kippa ou un turban nous semble abusif et arbitraire. L’arrêt commenté l’illustre très justement ; Mme Lachiri n’a pas pu assister à l’audience devant la cour d’appel  en raison de l’injonction faite par la juge de retirer son foulard alors qu’elle a pu se présenter devant la Cour de Cassation sans que ledit article  ne soit invoqué.

Dès lors que l’on interprète la disposition précitée comme réglant la police des audiences, nous ne concevons pas en quoi le port d’un couvre-chef religieux constitue per se un comportement perturbateur ou irrespectueux en salle d’audience. La Cour ne démontre pas non plus comment un juge pourrait obtenir le maintien de l’ordre uniquement par le retrait de son foulard par une femme musulmane. Il ressort de l’étude de l’Université de Gand qu’une partie des magistrats déclarent « avoir une gêne »[8] par rapport au foulard et que c’est à ce titre uniquement qu’ils demandent aux femmes qui le portent de l’ôter.

Nombreuses sont les affaires dans lesquelles les femmes qui portent un foulard se voient tantôt refuser l’accès à la salle d’audience, tantôt c’est l’échange avec le magistrat est conditionné par le fait de se découvrir. Comment faire confiance à la justice si les mêmes juges qui doivent la rendre sont imbibés de stéréotypes et de préjugés ?

Pour toutes les personnes privées du droit à l’accès au juge en raison d’un couvre-chef religieux à qui nous avons toujours affirmé que le juge ne peut brandir l’article 759 pour leur nier le droit d’accès à la justice ; pour elles, l’arrêt de la CEDH tombe à point nommé. Il est dès lors de la responsabilité des magistrats à s’aligner sur cette jurisprudence car nous ne manquerons pas d’en faire bon usage. La liberté religieuse de nos concitoyen.ne.s n’est pas négociable.

Nimat Benaccer, juriste au MRAX.

 


[1] Lachiri c. Belgique, n°3412/09, CEDH 2018, 727, §38.

[2] Op. cit.,§44.

[3] La Cour aurait dû, selon nous, limiter son raisonnement au critère de la prévisibilité de la restriction. En effet, l’exclusion de Mme Lachiri du tribunal au motif qu’elle porte un couvre-chef doit être, pour être compatible avec l’article 9§2 CEDH, « prévue par la loi ». Cette condition requiert une prévisibilité dans les effets de la loi. L’interprétation discrétionnaire de ladite disposition par les magistrats crée une insécurité juridique dans le chef des justiciables. La condition de prévisibilité de l’article 759 semble pourtant être le nœud du problème ; nous regrettons la retenue de la Cour à trancher cette question de fond.

[4] La justice ne doit pas seulement être dite, elle doit également donner le sentiment qu’elle a été bien rendue.

[5] GUJA c. Moldova, n° 14277/04, CEDH 2008, §90.

[6] Het verbod op hoofddeksels in de rechtszaal als typevoorbeeld van ‘hoofddoekenvervolging’ in België, https://biblio.ugent.be/publication/8529326/file/8529327.pdf, p.4.

[7] https://www.rtbf.be/info/societe/detail_un-juge-sur-sept-ne-veut-pas-de-foulard-islamique-en-salle-d-audience?id=9502696

[8]Het verbod op hoofddeksels in de rechtszaal als typevoorbeeld van ‘hoofddoekenvervolging’ in België, https://biblio.ugent.be/publication/8529326/file/8529327.pdf, p.4.

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