La démocratie au prix de l’égalité ?

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Pierre Bourdieu, grand sociologue français qui nous a quitté au début du siècle, disait que « la sociologie est un sport de combat ». On pourrait presque écrire la même chose de la démocratie qui requiert au moins autant de combativité et de discipline. Et même d’auto-discipline puisque le combat pour la démocratie passe souvent par un affrontement intérieur entre nos principes et nos affects, entre nos convictions et nos préjugés, entre nos idéaux et nos sentiments. Et il est des situations où il est moins aisé de prendre le parti de la démocratie. Qui n’a jamais eu une conversation de café du commerce ou un interlocuteur explique qu’il est pour la peine de mort pour les tueurs d’enfants ou pédophiles multirécidivistes ? Développer posément un argumentaire contre la peine capitale face à un vis-à-vis qui va énumérer les faits abjects d’un criminel qui nous répugnent n’est pas l’exercice le plus plaisant. Pourtant la force de la démocratie c’est précisément sa capacité à promouvoir le bien commun et un ordre juste qui ne se laissent pas des cas isolés, même parmi ceux qui suscitent une vive émotion en ce compris dans notre chef, mettre à mal l’universalité de sa portée. C’est précisément ce qui différencie la démocratie et l’ émocratie, dictature des émotions. Toutes proportions gardées, la discussion n’est pas nécessairement non plus facile à mener lorsqu’il s’agit d’évoquer certains aspects de la lutte anti-terrorisme même parmi ceux qui mettent le plus à mal les principes d’égalité et de liberté. Ainsi, la question de la déchéance de nationalité qui pourtant contrevient au moins dans l’esprit à l’article 10 de la Constitution belge qui prévoit que tous les belges sont égaux devant la loi. L’un ou l’autre cas a récemment fait la une de l’actualité. Évidemment, les thuriféraires de la déchéance de nationalité vont s’empresser de mettre en exergue les méfaits d’individus dont les agissements ont défrayés la chronique. Là aussi, rétorquer que des individualités aux actes aussi condamnables soient-ils ne peuvent servir de prétextes pour remettre en cause ni l’État de Droit ni notre vision de la société peut parfois faire dégénérer la causerie. Il se trouvera des discutants pour nous reprocher, au mieux, notre angélisme de mauvais aloi, au pire, notre passivité complice face au terrorisme. Qui peut croire sérieusement, pour autant qu’on veuille mener sérieusement un débat sur la question, que la menace d’être déchu de sa nationalité peut être une mesure anti-terroriste efficace. Ainsi, des activistes sectaires en rupture avec la société, au point de vouloir y semer la mort, parfois en la trouvant eux-même, pourraient s’émouvoir de la perspective de perdre une nationalité que, de toute évidence, ils honnissent ?

La déchéance de nationalité est une mesure aussi inefficace dans la lutte anti-terroriste qu’attentatoire au principe d’égalité. Elle ne renforce pas notre sécurité mais affaiblit notre démocratie. La justice doit s’abattre de la même manière sur l’ensemble des justiciables. Que certains d’entre eux puissent être condamnés, uniquement en raison de leurs origines, à des peines supplémentaires, pour les mêmes crimes, dont d’autres restent préservés, cela constitue ni plus ni moins qu’un naufrage de l’égalité. Bien sur, il faut utiliser tous les moyens de droit pour mettre hors d’état de nuire des criminels endoctrinés comme ceux qui ont semé la mort sur notre territoire le 22 mars 2016. Il est juste de vouloir défendre notre démocratie, surtout face à ceux qui ont juré sa perte. Mais il est temps d’admettre que le meilleur moyen d’y arriver n’est certainement pas d’en atténuer la portée.

 

Carlos Crespo, président du MRAX.

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