“Il n’y a pas qu’une seule discrimination” – Portrait de Galadriel

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Galadriel qui subit l’antisémitisme et le sexisme quotidiennement, nous parle de sa difficulté à libérer sa parole sur ces discriminations.

Peux-tu te présenter en quelques mots ? 

Je m’appelle Galadriel, je suis d’origine française, j’ai 28 ans. Et je suis juive ashkénaze majoritairement, ce qui veut dire donc que mes ancêtres viennent de l’Europe de l’Est. J’ai aussi un grand-père turc et Juif dont la famille a été expulsée d’Espagne en 1492.  Et je suis graphiste aussi soit dit en passant.

Comment tu te définis ? Quelle est ton identité ?

Mon identité est complexe on va dire. Je suis une femme, juive, cisgenre, hétérosexuelle mais je ne sais pas si je suis blanche ou pas. Je pense que je me considère comme étant quelqu’un de blanc quand je suis avec des personnes « racisées » mais avec des personnes blanches athées ou alors venant d’un milieu catholique, là je me sens moins blanche, moins dans la norme.

Quelle est ton premier souvenir de discrimination dont tu peux te rappeler ?

Je n’arrive pas à savoir exactement, j’ai une très mauvaise mémoire. 

Mais je sais que j’ai intériorisé énormément de stéréotypes antisémites en grandissant, sans m’en rendre compte. Pendant une grande partie de mon adolescence, j’étais par exemple persuadée qu’on était riche. Un moment, je me suis rendue compte que non, ma famille n’était pas plus riche que celle mes ami.e.s. Ça a été une vraie prise de conscience. Encore maintenant, je vais avoir peur, si je dois faire attention financièrement devant certaines personnes, de renforcer un stéréotype de la “juive radine”. C’est complètement intériorisé. Mais je pense que c’est un truc qui est chez plein de personnes, d’avoir peur de confirmer un stéréotype. 

Quelles sont les discriminations qui t’ont le plus marquée ?

Celle qui était la plus violente, ça a été au moment des attentats du Bataclan. J’habitais dans l’Est parisien, l’hyper cacher faisait partie des endroits où on faisait parfois nos courses. Et au moment de l’attentat du Bataclan, à la radio, j’ai entendu quelqu’un dire « Maintenant on a changé de paradigme, on attaque les gens plus pour ce qu’ils ont fait mais juste parce qu’ils sont Français. » Et d’entendre cette phrase, je me suis rendue compte que plein de gens ne s’étaient pas sentis visés par les attaques avant. Parce que Charlie Hebdo c’était une réponse à des caricatures, et l’Hypercacher…bah c’étaient des Juifs.

Et donc à la radio les gens disaient que ce qui avait changé avec le Bataclan c’est que maintenant on pouvait être une cible “simplement” parce qu’on existait, mais c’était mon ressenti depuis longtemps, ça faisait longtemps que j’étais une cible.

Celle-là c’est celle qui a fait le plus mal.

Après, c’est beaucoup de micro agressions ou juste le fait de faire attention en permanence: si quelqu’un prononce le mot « juif » dans un tram, je l’entends. C’est assez similaire au sexisme là-dessus. Je pense que c’est un état de vigilance permanent. 

À un entretien d’embauche, une fois, l’employeur regarde mon CV et voit que j’ai travaillé dans une organisation juive et il me dit alors « ici on est apolitique ». Très bien, pas de soucis pour moi. Il ajoute alors « Mais d’ailleurs, moi la première fois que je suis allé en Israël, je suis allé en Palestine. » … D’accord mais je ne vois pas le rapport avec l’entretien d’embauche. Et cette même personne m’a envoyé un email après l’entretien qui commençait par « shalom donc ». C’était top (sarcasme).

“J’ai développé à un moment une même manière de vivre pour les deux (le sexisme et l’antisémitisme) : une difficulté à l’expliquer, une peur qu’on me dise que je me victimise..”

J’ai donc travaillé pour une organisation juive, pour l’Union des étudiants juifs d’Europe en tant qu’organisatrice et j’ai fait un burn out. Et une des choses qui a mis le feu au poudre on va dire, c’est quand on a reçu des menaces de mort, des personnes qui nous avaient envoyé un email disant « on a acheté des kalachnikovs et on va passer tuer des étudiants juifs à telle date ». J’étais avec un professionnel de la sécurité et lui disait « non mais ça c’est rien », il était capable de juger la crédibilité et la gravité de la menace alors que moi je n’étais pas capable de faire ça et ça m’a énormément touchée. 

Je me rends compte aujourd’hui à quel point travailler dans le milieu juif c’est pesant à cause de la sécurité: il faut faire attention à ne pas révéler notre lieu de travail, apprendre à reconnaître une vraie attaque d’une fausse, connaître les protocoles en cas d’attaque etc. 

Depuis que je suis petite, quand je vais à la synagogue, il y a des gardes armés à l’entrée, je m’y suis habituée. Il y a quelques années, pour Yom Kippour, on était à la synagogue en France, et en Allemagne et il y a eu des attaques contre des synagogues. On nous a demandé d’évacuer la synagogue très rapidement à la fin de l’office dans la peur d’une attaque coordonnée européenne. Et c’est le genre de trucs qui renforce ce sentiment de danger constant… Il ne s’est rien passé à ce moment-là mais on a toujours l’impression que c’est juste à côté. 

Et est-ce qu’en tant que femme juive, tu as eu des discriminations croisées ? 

Je ne pense pas. Il y a déjà eu des vannes sur les femmes juives au lit mais c’est arrivé une fois dans toute ma vie alors que j’ai été dans beaucoup de cercles multiculturels, j’ai grandi dans des milieux pas uniquement juifs, donc je ne l’ai pas beaucoup ressenti. En fait, je pense que je n’ai jamais eu de gros croisement. Par contre, j’ai développé à un moment une même manière de le vivre pour les deux: une difficulté à l’expliquer, une peur qu’on me dise que je me victimise. J’ai réussi a vraiment le déconstruire pour le sexisme, mais pour l’antisémitisme, c’est pas encore ça. C’est-à-dire que lorsqu’on me demande si j’ai été victime d’actes antisémites, je me dis « on ne m’a jamais cassé la gueule du coup non ». Aussi, la peur de subir du sexisme et de l’antisémitisme arrive souvent en même temps. Je sais que quand je sors, j’hésite avant de mettre mon pull de l’UEJB ou avant de mettre une robe courte. Et si je marche toute seule dans la rue en étant une femme avec mon pull de l’UEJB, j’ai peur pour deux raisons à la fois.

Qu’est-ce que tu dirais aux femmes qui vivent la même chose que toi ?

C’est un peu compliqué parce que j’essaie de savoir ce que j’ai en commun avec qui. Si je voudrais insister sur une chose, c’est surtout la légitimité à parler. J’ai souvent peur de témoigner parce que je me dis toujours qu’il y a pire, je remets en question ma légitimité. Mais sur cette légitimité de la parole, ça fait du bien d’en parler quand on y arrive, et quand on trouve les bons espaces pour le faire. Ce qui peut être aussi compliqué, j’ai aussi toujours peur de devoir expliquer alors que j’étais venue pour partager.

As-tu un message à faire passer aux personnes qui discriminent ?

Je pense que l’antisémitisme, comme plein d’autres choses, est souvent basé sur une ignorance ou sur un oubli qui mène parfois à une invisibilisation. Il y a vraiment pleins d’endroits où on peut écouter, lire, apprendre : l’UEJB notamment fait un travail absolument merveilleux pour le coup. Il y a énormément de plateformes pour essayer de comprendre ce que ça veut dire être juive aujourd’hui. On tombe très facilement dans la caricature ou les préjugés et je pense que c’est important aussi de questionner la place des juif.ve.s dans la lutte antiraciste, par ce que ce n’est pas encore simple.J’ai envie de faire partie des mouvements antiracistes, féministes intersectionnelles mais j’ai l’impression que dans ces milieux, on va me demander directement mon avis et de montrer patte blanche vis à vis de la situation israélo-palestinienne, ça n’aide pas à trouver sa place.

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