Ali, qui a grandi entre deux cultures nous partage ses conflits pour construire son identité, son « soi » dans une société où les stéréotypes et discriminations envers les femmes asiatiques définissent qui elles sont.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Ali, j’ai 26 ans et je suis diplômée d’un Master de Communication. Je suis Belge d’origine japonaise. Mes parents sont tous les deux Japonais et ils ont émigré en Belgique il y a presque 30 ans; ma sœur et moi on est née toutes les deux en Belgique.
Comment vous définissez-vous ? Quelle est votre identité ?
Je me définis comme femme asiatique belge. Pendant longtemps, j’avais une crise identitaire, je ne savais pas si j’étais japonaise ou belge. J’avais l’impression que je devais absolument choisir entre l’une et l’autre. C’est quand je suis partie vivre à Tokyo à l’âge de 20 ans que j’ai compris que je n’appartenais réellement nulle part. Quand je suis en Belgique, je suis perçue comme “l’étrangère”, “l’asiatique” et quand je suis au Japon, je suis la fille qui est née à l’étranger, qui n’est pas une “vraie” japonaise. C’est là que j’ai réalisé que je suis un peu des deux et que je n’ai pas besoin de choisir. J’ai également réalisé que mon identité ne se résume pas à mes origines et ça ça m’a fait énormément du bien.
Quel est le premier souvenir de discrimination dont vous pouvez vous en rappeler ?
Un des premiers souvenirs de racisme remonte à quand j’avais 5-6 ans. J’étais en excursion en Flandre avec une colonie de vacances. Un moment je me retrouve seule et au loin il y a deux petites filles qui me pointent du doigt et qui disent “chinees” en ricanant. Je me souviens que j’étais profondément blessée mais que je ne savais absolument pas quoi faire. À l’époque, je ne savais pas non plus pourquoi j’étais blessée par cette moquerie. Cet événement m’a marqué et je m’en souviens encore très bien encore aujourd’hui. C’est à partir de cet âge-là que j’ai réalisé que je n’étais pas comme les “autres”.
En fait, c’est à la fois fatigant et dégradant d’être systématiquement réduite à ses origines, d’être vue comme « quelque chose à tester » et être vue comme un stéréotype.
Avez-vous un épisode de discrimination multiples qui vous a marqué ?
Le premier qui me vient à l’esprit c’est quand j’avais 18-19 ans, un homme en soirée m’a dit “Ça a toujours été mon fantasme de me taper une asiatique”. À l’époque, je n’avais pas les outils nécessaires pour répondre à ce genre de commentaire qui est à la fois raciste et sexiste. Tellement d’hommes m’ont fait des commentaires dans ce style toute ma vie : “j’ai entendu dire que les asiatiques sont chaudes” ou les gens qui s’intéressent à moi dès que je dis que je suis d’origine japonaise etc. En fait c’est à la fois fatigant et dégradant d’être systématiquement réduite à ses origines, d’être vue comme “quelque chose à tester” et être vue comme un stéréotype.
Mais depuis que je m’intéresse à la question du racisme, je sais d’où viennent ces remarques. L’hypersexualisation des femmes asiatiques est un héritage colonial nourri par les représentations stéréotypées dans les médias (la femme mystérieuse aux moeurs légères). Et aujourd’hui je sais quoi leurs répondre : “Vu votre attitude, ça restera un fantasme toute votre vie” (rires)
Que voulez-vous dire aux personnes qui vivent la même situation que vous ?
C’est très cliché mais que chaque personne est unique. Une personne ne peut pas être réduite à ses origines, à un stéréotype. Vous êtes bien plus que ça, plus complexe, avec une personnalité riche, des passions, des capacités diverses, vous êtes tout un univers.
Pendant longtemps, j’avais l’impression que toute ma personnalité, mes accomplissements, toute ma personne se réduisait à mes origines et ça m’a énormément cassé. Des commentaires du style: tu as réussi parce que t’es asiatique, ce garçon t’aime bien parce qu’il a la “fièvre jaune”, tu dessines bien parce que t’es japonaise etc.
Tout ça ça m’a fait tellement douter de mon identité, de qui j’étais. Je ne voudrais pas que d’autres personnes vivent ça.
Et il n’y a rien à faire, la connaissance est la meilleure arme. Plus on apprend sur la question du racisme : d’où viennent certains préjugés, pourquoi certaines personnes se font discriminées etc., plus on comprend mieux le fonctionnement de notre société.
Je voudrais également souligner que la question de la discrimination est multiple. Par exemple, je suis à la fois victime de racisme et de sexisme et qu’il est primordial de reconnaître le croisement de cette double discrimination. Mais il ne faut pas oublier ses privilèges également. Pour ma part, je suis issue d’un milieu social confortable, je n’ai pas de handicap, j’ai eu la chance de faire des études universitaires etc. La question de la discrimination doit être holistique, chacun.e doit se rendre compte de ses discriminations et ses privilèges.