Petit réveillon entre amis

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Tout n’est pas encore pour le mieux dans le meilleur des mondes de la nuit, même le 31 décembre 2003. Certains ont commencé l’année par de la discrimination au faciès.

La soirée du réveillon du nouvel an s’annonçait paisible, j’avais réussi à éviter la cohue de la Grand-Place pour échouer au Walvis, un nouvel établissement de la Porte de Flandre. L’établissement était à moitié vide et les portiers engagés pour l’occasion me laissèrent entrer avec un sourire en guise d’invitation. Minuit sonna sans surprise et un public en plus grand nombre se présentait régulièrement à la porte où les deux portiers se relayaient. Visiblement l’accès à l’établissement était rendu difficile par ces gardiens devenus tatillons. J’étais intrigué par la manière dont la sélection était opérée, et j’observais à distance le manège. Tout sourire pour les uns avec un grand « bonsoir monsieur, bonsoir madame » et pour les autres un hautain et méprisant « il ne sera pas possible d’entrer ce soir. » J’ai vu des hommes ainsi humiliés, les yeux humides baissant la tête et passer leur chemin. Lorsque d’aucuns osaient demander des explications, le ton montait d’un cran et des coups s’abattaient sur le client récalcitrant. J’ai vu le geste de la main d’un des ces portiers s’abattre sur la figure d’un client malchanceux et peut-être trop faible pour faire de l’esclandre. Tous s’en allaient profondément blessés dans leur dignité d’homme. La coercition par la force devient une dialectique admise. Cette brutalité toute arbitraire loin de me rassurer, me plongea dans un malaise profond parce que cette violence était mise à mon service en tant que consommateur toléré. La sélection opérée dans la clientèle n’avait sans doute qu’un objectif, préserver ma tranquillité ainsi que celle de cette jeunesse marginale qui courait le risque de développer un racisme toujours latent si elle venait à subir un événement quelque peu déplaisant provoqué par un allochtone. Ces attitudes avilissantes marquent profondément la mémoire et les plaies qu’elles impriment restent toujours vives. Plus d’une génération en porte les stigmates. Selon une étude récente, le seuil de la représentation des gens de couleur se situe pour un occidental dans les trente pour cent. Au- delà de trente pour cent de gens de couleur, le blanc se sent en minorité et donc en insécurité. Ce soir-là, les gens de couleur ne représentaient pas plus de cinq pour cent. Les hommes de main avaient donc très bien intégré les ressorts du bonheur de leur clientèle en assurant une ouverture mesurée, sauvegardant ainsi l’homogénéité ethnique du lieu. De la sorte, les préjugés qui ont cours se trouvent confortés. L’autre est un peu voleur, parfois fanatique et souvent agressif et déviant. Ces gardiens-videurs croyant en agissant de la sorte se soustraire de ses amalgames gluants qu’ils entretiennent de manière inconsciente, oublient un moment qu’ils portent encore, eux aussi, les nobles traits physiques d’une négritude probable et ancienne. Ceci ne manquera pas de provoquer des réflexions auprès des clients confortablement installés dans une ébriété générale ; « les gens du quartier n’aiment pas nos établissements, ni nos fêtes », oubliant que des personnes affectées à la tâche du maintien de l’ordre procèdent à un écrémage soigneux. D’autres conforteront probablement leurs fantasmes hideux « si c’était des gens valables, les portiers les auraient laissé entrer. » CQFD par l’absurde. Rappelons que ces discriminations sont punissables par la loi mais également par la morale (religieuse ou non.) Il m’est difficile de penser que ces gardiens d’un soir ont agi de leur propre initiative et à l’insu de leurs employeurs. Il est lamentable que de telles pratiques aient pu avoir lieu dans un endroit labellisé « progressiste. » J’ai salué avec tant d’autres l’installation d’un établissement aussi innovant dans un quartier pauvre en lieux d’animations et en activités culturelles. L’apport au quartier devait être appréciable et permettait à l’établissement de s’ouvrir vers nouvelle clientèle locale. Et voilà que d’un seul geste, on renvoie une frange de la population dans sa banlieue avec l’amer constat de s’être exposer inutilement aux vexations. L’établissement ne perturbe pas la ségrégation spatiale de la ville, mais crée tout au plus un îlot pour des consommateurs branchés dans un quartier populaire. Mon propos reste d’attirer l’attention des gestionnaires sur le comportement répréhensible de leurs employés, parce qu’il serait dommage qu’un tel projet achoppe par un défaut de vigilance. Il faut que de tels lieux puissent exister et soient un véritable carrefour où des gens de toutes origines et de toutes conditions sociales se croisent et se côtoient. Pour cela aussi, je dénoncerais toute imposture.

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