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Gratia Pungu
En Belgique, le haut niveau dāĆ©ducation de la diaspora congolaise nāempĆŖche pas un haut niveau de pauvretĆ© et de prĆ©caritĆ©. Cette gĆ©nĆ©ration āsurĆ©duquĆ©eā assiste, impuissante, Ć un renversement de situation pour la seconde gĆ©nĆ©ration.Ā
La diaspora congolaise est rĆ©partie largement des deux cĆ“tĆ©s de lāAtlantique. En Europe, son foyer principal nāest pas la Belgique comme on pourrait le croire a priori, mais bien la France (plus de 50 % de la population en immigration); lāancienne mĆ©tropole nāĆ©tant que le deuxiĆØme lieu dāĆ©tablissement de la communautĆ© mais surtout lieu de passage. La raison de cette dĆ©saffection tient en grande partie au fait quāil est connu au sein de la diaspora que le taux de chĆ“mage des Congolais est bien plus Ć©levĆ© en Belgique quāailleurs; ce phĆ©nomĆØne a dāailleurs Ć©tĆ© mis en Ć©vidence par les Ć©tudes rĆ©alisĆ©es par Actiris et un nouveau constat en a Ć©tĆ© effectuĆ© par le Centre pour lāĆ©galitĆ© des chances (1). La situation est paradoxale : loins du stĆ©rĆ©otype colonial de lāAfricain analphabĆØte, les Congolais de Belgique forment la population la plus Ć©duquĆ©e, celle qui compte de loin le plus dāuniversitaires, bien plus que les autres communautĆ©s immigrĆ©es ou que la population autochtone. Pourtant, ce haut niveau dāĆ©ducation nāempĆŖche pas un haut niveau de pauvretĆ© et de prĆ©caritĆ©. Dans le sĆ©jour avant tout, faute de conventions bilatĆ©rales Ć lāimage de celles conclues avec les pays du sud de la MĆ©diterranĆ©e, aucune immigration nāa jamais Ć©tĆ© envisagĆ©e pour les Congolais, et ce malgrĆ© une longue histoire commune. DĆØs lors, tout le parcours en Belgique est placĆ© sous le signe du « momentané » et de la fragilitĆ©. Ce nāest pas sans consĆ©quences sur la situation des familles où les femmes assurent souvent, par leurs boulots dans le domaine de lāaide aux personnes, lāessentiel des ressources rĆ©guliĆØres et partant, reprĆ©sentent la seule figure stable du foyer.
La discrimination sāexerƧant, entre autres sur le marchĆ© de lāemploi, conduit les mĆŖmes Ć souffrir du taux de chĆ“mage le plus Ć©levĆ© du pays. Si la rĆ©flexion sur la discrimination spĆ©cifique sāĆ©bauche petit Ć petit en Belgique, la connaissance de la diaspora congolaise et des populations noires en gĆ©nĆ©ral nāest nulle part. Or cāest bien dāune vraie diaspora quāil sāagit (2). Elle combine, comme les diasporas historiques, juives et armĆ©niennes qui nous sont mieux connues, les caractĆ©ristiques suivantes : lāexil, souvent violent, dans plusieurs pays diffĆ©rents, au grĆ© des dĆ©placements forcĆ©s Ć lāĆ©poque de lāesclavage, au grĆ© des possibilitĆ©s dāaccueil dans le cadre des Ć©tudes et de lāasile, Ć lāĆ©poque contemporaine. Comme toutes les immigrations, la diaspora congolaise en particulier, africaine en gĆ©nĆ©ral, a Ć cÅur de garder un contact et dāÅuvrer au dĆ©veloppement de la rĆ©gion dāorigine, que celle-ci soit « recrƩƩeĀ Ā», dans le cas des descendants dāesclaves, puisque leur origine nāest pas « traƧableĀ Ā» ou rĆ©elle, sāagissant de lāimmigration africaine post-indĆ©pendance. De lĆ , lāĆ©laboration dāune mĆ©moire commune aux peuples noirs, une conscience partagĆ©e, dĆØs avant les indĆ©pendances, et jusquāĆ nos jours, en France et aux Etats-Unis dāabord, où sāĆ©labore une rĆ©flexion en commun sur lāexpĆ©rience partagĆ©e du racisme, de lāexploitation et de la discrimination, qui dĆ©bouchera sur le mouvement panafricaniste dont Nkrumah, Senghor, CĆ©saire, Dubois mais aussi Patrice Lumumba sont, pour des raisons diverses, des figures marquantes. Dans ce courant dāidĆ©es, le Congo et sa diaspora occupent une place majeure, par lāimportance de ses cultures Ć lāĆ©chelle du continent : peu de Belges en sont conscients, mais le bassin du Congo est lāun des grands ateliers artistiques du continent noir; et si la Belgique est lāun des centres les plus connus en matiĆØre dāexpertise et de commerce dāart africain, cāest au Congo quāelle le doit. Par ailleurs, lāhistoire tragique des colonisation et dĆ©colonisation du Congo et la mort violente de Lumumba ont alimentĆ© la rĆ©flexion du mouvement panafricain; il suffit dāĆ©voquer dans lāÅuvre dāun AimĆ© CĆ©saire la place particuliĆØre de lāouvrage « Une saison au CongoĀ Ā».
Le cas des Congolais de la diaspora installĆ©s en Belgique ouvre une nouvelle page Ć laquelle il convient dāĆŖtre particuliĆØrement attentif. Avant lāindĆ©pendance, les Ć©tudes universitaires leur Ć©taient en pratique largement fermĆ©es par la volontĆ© du colonisateur, contrairement Ć la situation franƧaise qui a encouragĆ© et poussĆ© une trĆØs peu nombreuse mais vĆ©ritable Ć©lite intellectuelle. AprĆØs lāindĆ©pendance, cāest en nombre que les Congolais dĆ©barquent en Europe, accumulent les diplĆ“mes et crĆ©ent une situation qui aurait dĆ» modifier le stĆ©rĆ©otype de « lāAfricain illettré » en celui Ć tout prendre prĆ©fĆ©rable, bien que toujours installĆ© dans la dĆ©pendance, de « lāĆ©tudiant africainĀ Ā». Fait nouveau dans lāhistoire moderne des peuples dāascendance africaine, depuis lāindĆ©pendance, cāest toute une gĆ©nĆ©ration qui a accĆØs Ć lāĆ©ducation et au savoir, chose qui on sāen souvient Ć©tait interdite aux esclaves du continent amĆ©ricain, extrĆŖmement limitĆ© pour les colonisĆ©s. Tout imprĆ©gnĆ©e de principes mĆ©ritocratiques, cette gĆ©nĆ©ration en espĆ©rait une amĆ©lioration substantielle de sa condition. La prĆ©caritĆ© de sa situation en immigration, la persistance des stĆ©rĆ©otypes racistes dessinent une tout autre destinĆ©e : pour la premiĆØre fois une gĆ©nĆ©ration « surĆ©duquĆ©eĀ Ā» voit sous ses yeux se produire lāimpensable : non seulement elle nāa tirĆ© aucun bĆ©nĆ©fice de ses efforts dans le pays dāaccueil quāest la Belgique, mais encore elle assiste impuissante au renversement de la situation pour la seconde gĆ©nĆ©ration. Cette derniĆØre, largement dĆ©scolarisĆ©e parce que sans espoir, est sans admiration pour la gĆ©nĆ©ration des parents qui nāont pas « rĆ©ussiĀ Ā» malgrĆ© leur collection de diplĆ“mes.
Pour la premiĆØre gĆ©nĆ©ration, un seul refuge dĆØs lors : la religion. Celle-ci nāest donc pas uniquement la marque, comme on pourrait le penser, dāune forme dāarriĆ©ration mentale. Cāest plutĆ“t un vĆ©ritable remĆØde Ć la souffrance vĆ©cue, en somme cāest bien « lāopium du peupleĀ Ā», un palliatif qui permet de supporter la souffrance.
Cinquante ans aprĆØs lāindĆ©pendance, il est urgent de peser et de mesurer lāimpact futur de cette situation en matiĆØre de cohĆ©sion sociale mais aussi dāimage que lāon offre ainsi au monde.
(1) Voir notamment A. Martens, M. Van de Maele, S. Vertommen, H. Verhoeven, N. Ouali, Ph. Dryon, « Discriminations des personnes dāorigine Ć©trangĆØre sur le marchĆ© du travail de la RĆ©gion de Bruxelles-CapitaleĀ Ā», KUL – ULB, 2010; Centre pour lāĆ©galitĆ© des chances, « Belgique-Congo : 50 annĆ©es de migrationĀ Ā», Colloque du 1er juin 2010, pas encore dāactes malheureusement.
(2) A. Gueye, « Figures et expériences diasporiques », REMI, 2006.
(*) La revue de débats « Politique » n°65, juin 2010, consacre son dossier à « Le Congo dans nos têtes. Mémoire, stéréotypes et diaspora ». Avec, notamment, les contributions de Jean-François Bastin (La passion de Lumumba), Nathalie Delaleeuwe (Tervuren, un musée en mal de définition), Zana Etambala (Brève histoire de la diaspora congolaise), Antoine Tshitungu (Belgique, une mémoire coloniale sélective).