Menaces sur le regroupement familial

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Assiste-t-on, en cette rentrée politique, aux prémisses d’une attaque en règle contre le droit au regroupement familial ? Certains articles de journaux le donnent à penser, voyons cela de plus près…

 

Certains titres de la presse flamande – et pourtant pas de ses organes les plus réactionnaires – donnent à penser qu’est commencée l’offensive et qu’avant la fin de cette année, nous aurons l’occasion de reparler du regroupement familial : « België, Mekka van familiehereniging » (De Morgen 22.9.2004), plusieurs interviews sur le sujet dans le Standaard et le Morgen du 18 septembre donnent le ton. Lesabus déplorés par les conseillers du CPAS d’Anvers, tous partis confondus, visent en particulier la situation des vieux parents qui rejoignent leurs enfants et seraient ensuite abandonnés aux bons soins des services publics. Mais nous savons que la crispation se fait sentir également à propos des mariages, que les communes compliquent de plus en plus, dès qu’il s’agit d’un sans-papiers, et des visas après mariage, qui font de plus en plus aussi l’objet d’enquêtes complémentaires et de blocages de la part de l’Office des étrangers.

Les CPAS et certains politiciens parlent d’abus (apparemment sans s’y attaquer alors que la réglementation actuelle leur en donne parfaitement les moyens, si vraiment il s’agit d’abus), et s’engagent dangereusement sur un terrain qui ne fait que fournir des munitions à l’extrême droite. Nous pourrions quant à nous à juste titre dénoncer des délais anormaux pour l’obtention d’un visa de regroupement familial, les enquêtes souvent vexatoires préalables à un mariage, les tracasseries diverses accumulées sur le chemin d’une demande d’établissement.

Une Directive européenne

L’actualité juridique oblige la Belgique à tenir compte d’une récente directive européenne concernant le regroupement familial, du 22 septembre 2003. Les standards minimums qui ont été intégrés sont à ce point minimaux (basés sur le plus petit commun dénominateur européen notamment autrichien et allemand [1] que la Belgique n’a que très peu de modifications obligatoires à intégrer dans sa réglementation. Il y en a cependant, comme la suppression de l’interdiction du regroupement familial en cascade ou l’élargissement de la notion de famille pour les réfugiés. L’occasion de cette mise en œuvre est idéale d’une part pour ceux qui, comme nous, veulent garantir et élargir les conditions du droit de vivre en famille des immigrés en Belgique et en Europe, condition évidente d’une vraie citoyenneté européenne, mais elle l’est aussi pour ceux qui, s’appuyant de façon démagogique sur les témoignages forcément biaisés de représentants des CPAS, visent à restreindre les droits au regroupement familial. Nous ne devons sans doute qu’aux turbulences aéroportuaires de n’avoir pas encore connaissance à l’heure où ces lignes sont écrites, des projets qui se préparent au niveau du Ministère de l’Intérieur.

Le regroupement familial en droit belge

La situation belge est relativement particulière en Europe. Dans le fil de la volonté de compenser la dénatalité, notre politique a toujours encouragé la venue des familles. S’est ajouté à cette préoccupation « utilitaire » le résultat du mouvement antiraciste et démocratique des années 70 qui a abouti à la loi du 15.12.1980 ; c’est à cette occasion que fut mis sur le même pied le regroupement familial des « communautaires » (les ressortissants de l’Union européenne pour lesquels plusieurs directives organisaient un statut très positif), et des Belges. L’assouplissement des conditions d’accès à la nationalité, notamment par les dernières modifications de 2000, a réellement amené une amélioration dans les possibilités d’accès au séjour pour la famille (notamment les grands enfants et les parents à charge) de nombreux belges d’origine étrangère qui vivent en Belgique. Ce fut d’autant plus le cas que, suite à l’attitude de l’Office des Etrangers qui a refusé pendant des années de permettre le regroupement familial de ceux qui n’avaient plus de visa en règle, le MRAX a dû aller jusqu’à la Cour de Luxembourg pour faire respecter la réglementation européenne, et obtenir ainsi que le Ministère soit obligé de régulariser sans formalité le séjour de membres de la famille de belges, même s’ils étaient sans-papiers précédemment.

Dérives

Le fait que les formalités préalables au regroupement familial soient simplifiées est une bonne chose, et le fait qu’il y ait des abus (des « faux mariages », par exemple) ne justifie en rien que soient prises ou envisagées des mesures restrictives : tout le monde sait que si « filières » il y a, elles seront les premières à s’adapter et que ceux et celles qui subiront les effets négatifs des mesures envisagées seront l’immense majorité des familles réelles, égarées et découragées par les méandres bureaucratiques accumulés sur leur chemin, quand il ne s’agit pas de pur et simple déni de leurs droits. Surtout, chacun sait bien qu’un grand nombre de parents demandent un séjour en Belgique parce que l’obtention d’un visa touristique est un véritable calvaire de nature à décourager les plus déterminés. Si pour venir voir les enfants une fois par an, il faut consacrer argent et énergie pour des centaines de kilomètres et des heures si pas des jours de files et de démarches, qui se soldent une fois sur deux par des refus ou des malentendus aboutissant à ce qu’on reste bredouille après des mois d’attente, évidemment que n’importe qui souhaitera régler le problème une bonne fois en obtenant un permis de séjour définitif, avec lequel de surcroît on pourra se faire soigner correctement si le besoin s’en fait sentir.

Quelques pistes

Une mesure utile évidente serait de donner un visa permanent aux parents de ceux qui vivent en Belgique et en général de simplifier les formalités de regroupement familial en prévoyant que la demande se formule non pas uniquement auprès du consulat à l’étranger mais bien directement en Belgique, par la demande de celui qui se fait rejoindre, comme c’est le cas, par exemple, en France. Il faut surtout tirer des leçons de notre histoire récente, et être conscient que des mesures négatives qui ne correspondent pas à la prise en compte des réalités n’ont aucun avenir et ne font que compliquer, non seulement la vie des intéressés, mais aussi le travail de l’administration. Veillons donc à ce que notre loi respecte les droits des individus et les réalités de la vie, sachant tous les effets pervers inévitables des mesures restrictives que certains s’apprêtent à proposer.

[1] Voir pour analyse et explications détaillées des enjeux de la Directive 2003/86 le n° 125 de la R.D.E. d’octobre 2003.

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