L’introspection est la clé du problème !

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livre de Manu Claeys, « Le Vlaams Blok en chacun de nous », vient d’être traduit en français. Une interview de l’auteur, réalisée par un des premiers jours du printemps, dans son jardin, au cœur du mythique quartier de Borgerhout…

J’ai été assez frappé par ce qui me semble être la thèse centrale de votre réflexion : il existerait une mentalité, une nature du peuple flamand (volksaard), celle-ci consisterait en une série de caractéristiques comme l’incohérence, la peur de soi-même, le manque d’audace, le manque de rationalité… Et c’est sur cet ensemble de travers que le Vlaams Blok jouerait pour engranger des voix. D’où l’urgente nécessite d’une révolution morale pour contrer le Blok. Cette approche est comparable à celle des philosophes allemands du Volksgeist, de l’esprit du peuple, me semble-t-il ! Ce raisonnement donne une essence au peuple flamand, il part des même présupposés que le Vlaams Blok, tout en prétendant le combattre !

Eh bien, c’est un commentaire qui m’a souvent été fait. Je voudrais m’expliquer en restituant le contexte de mes écrits. Mes articles sont d’abord parus dans De Standaard, durant la période de Noël 2000, ils ont été écrits très vites et publiés au jour le jour. Ce n’est qu’ensuite qu’ils ont été rassemblés dans un bouquin. Dès leur parution dans le journal, les réactions ont été nombreuses. J’avais choisi à dessein le style pamphlétaire pour réveiller, pour faire réagir le lecteur, il ne faut donc pas prendre ce que j’ai écrit tout à fait à la lettre. Et bien sûr, dans mon esprit, le « volksaard » n’est pas le stéréotype du Volksgeist. De plus, les 6 caractéristiques du peuple flamand auraient pu aussi bien être 123, mon objectif était de stigmatiser une attitude précise, pas un esprit typiquement flamand. Je ne crois pas, par exemple, que les Flamands soient plus racistes que les Wallons. Je voulais juste analyser le phénomène du 8 octobre 2000. Il faut se rappeler qu’à cette date, le Blok a commencé à recueillir de nombreux votes ne provenant pas de son électorat traditionnel. Faisons un peu d’histoire. En 74, ce parti naît d’une scission de la Volksunie, suite au pacte d’Egmont, dans lequel Karel Dillen voyait trop de compromis faits aux Wallons. Le Blok est donc bien au départ un parti nationaliste. Mais dans le programme de 1987, le racisme, et surtout l’islamophobie font leur apparition. C’est une dimension supplémentaire au nationalisme. Dans les années 90, le Blok a commencé à cartonner avec cette tactique. En 88, lors du dimanche noir, ils avaient atteint un plafond du point du vue du nationalisme flamand, en exploitant le sentiment d’insécurité. Depuis cette date, le Blok a martelé que tout ce qui cloche c’est la faute des immigrés. Puis, aux dernières élections, le 8 octobre 2000, ce fut l’énigme : pourquoi le Blok continuait-il à monter dans des endroits où il n’y avait pas d’étrangers ? A Schoten, à Zoersel, dans différents villages ou communes riches, le Blok a cassé la baraque ! On ne pouvait plus expliquer cela par des raisons classiques. Pour moi en tout cas, ce succès électoral résulte d’un certain talent à exploiter des mentalités inconséquentes, c’est pourquoi un changement des mentalités est nécessaire ! Un exemple d’inconséquence : je suis Flamand et je me dis républicain mais en même temps je veux l’indépendance de la Flandre, et enfin, je me balade avec des petits drapeaux belges, le week-end dernier, pour fêter le mariage du prince et de Claire Coombs ! Quand on cultive cette façon de faire, sans vouloir pour rien au monde changer de manière de vivre…Vous pouvez constater qu’il ne s’agit plus d’une mentalité prédéterminée du  » peuple flamand « .

On a caricaturé votre pensée alors ?

C’est cela. Mais on ne va jamais en sortir si on continue à penser que le Blok fait seulement de bons scores dans les quartiers insécurisés où les gens sont frustrés et où les Marocains seraient une menace. On oublie la mondialisation, elle insécurise des gens qui ne savent pas suivre un monde trop rapide, trop vite sécularisé, trop vite dépilarisé, trop rapidement soumis à la concurrence en matière économique.

Vous voyez, à cet égard, une différence entre la Flandre et la Wallonie ?

Oui, aux dernières élections, le Sp.A a obtenu 15%, c’est devenu un petit parti, le VLD, 20%, le CDenV 20% aussi, le Vlaams Blok 20% également. Tandis qu’en Wallonie, le PS reste assez important, dans une position relativement dominante. La plupart des Wallons croient encore à leur sécurité sociale, elle est protégée par le PS. En Flandre, le libéralisme est puissant et beaucoup ont peur pour leur sécurité sociale, ce sentiment de menace, le Vlaams Blok l’a canalisée. Il est passé maître dans l’art de canaliser les plus petits mécontentements. A Schoten, le ramassage des immondices a été un des principaux thèmes électoraux :  » avec nous, vos poubelles seront bien ramassées ! « .

Vous aimez beaucoup votre quartier, Borgerhout, vous faites partie de l’association BorgerhouDt van Mensen…

Oui, l’association est née juste avant les élections, on avait très peur que le Blok prenne le pouvoir. Les habitants se sont réunis, en dehors de toute structure institutionnelle. On a établi une espèce de charte avec 7 principes et 12 objectifs et demandé aux différents partis de bien vouloir signer cette charte. Ensuite, les habitants en ont fait largement la publicité en l’affichant un peu partout dans Borgerhout. C’était une tentative de rassurer les gens et d’orienter leur vote vers des partis démocratiques. Depuis lors, nous organisons régulièrement des soirées mêlant information et divertissement : sur un grand podium, des groupes du quartier chantent ou font de la musique, sur un plus petit podium, un(e) journaliste interviewe des acteurs sociaux du quartier : le groupe de scouts, les commerçants de la Turnhoutsebaan qui n’ont pas facile tous les jours, etc. Ces rencontres réunissent un public très divers, ce n’est pas simple de satisfaire tout le monde, parfois les jeunes sifflent ou font le chahut. Mais la presse est présente, l’image de Borgerhout devient un peu meilleure, on apprend à se parler… il y a aussi le cinéma Roma, nous en sommes très fiers. Ce vieux cinéma des années 30 vient d’être rénové par des habitants, tout le monde s’est retroussé les manches. C’est une très grande salle de 1200 places, plus belle encore, à mon avis, que celle du Vooruit. Les prix d’entrée sont très modiques pour les Borgerhoutois et les spectacles d’une aussi grande qualité que dans des Centres culturels, avec le côté interactif en plus, ce n’est pas seulement de la consommation spectatrice. Malgré le manque d’infrastructures officielles, la vie associative a toujours été très vivante ici, par l’intermédiaire de la maison Rataplan, par exemple. Beaucoup de phénomènes sociétaux de la Flandre ont pris naissance à Borgerhout : la Volksunie, Agalev, Le Vlaams Blok, Abou Jah Jah et l’AEL…

Et votre travail a porté ses fruits le 8 octobre 2000 ?

Le 8 octobre, à Anvers centre, Borgerhout, et Berchem, les choses se sont plus ou moins stabilisées, mais dans les quartiers moins centraux comme Deurne, Hoboken et Merksem, le Blok a progressé, sans atteindre les 40 % qui leur auraient permis d’avoir la moitié des sièges. A la périphérie, Wilrijk, Mortsel, Schoten, Brasschaat, Schilde, les communes riches du type de Grimbergen, pour Bruxelles, le Blok a fait 25 pour cent, c’est cela qu’il faut désormais comprendre… Et je reviens au cœur de mon raisonnement : les gens se sous-estiment et surestiment les autres quant aux causes des maux dont ils souffrent : ce n’est pas ma faute, je ne peux rien faire à cela. C’est ce que je voulais décrire, cette mentalité d’impuissant attendant que les politiques les prennent en charge comme des petits enfants. Cette forme de pensée dualiste, clivée, est un vivier incroyable pour le Blok. Ce parti radote toujours la même chose : c’est la faute aux autres ! Nous nous sommes des gens biens mais voyez ces Wallons, ces Verts, ces immigrés, etc. Ils sont la cause de tous nos malheurs. Malheureusement d’autres partis leur emboîtent le pas jouent de plus en plus cette sorte de ritournelle. En Flandre, depuis quelque temps, tout un débat a lieu sur la question d’assortir les droits de devoirs, de les conditionner en quelque sorte à ces devoirs. Les partis de droite et d’extrême droite insistent naturellement sur les devoirs des autres, des « mauvais » et pas leurs propres devoirs. La gauche fait la place belle aux droits inconditionnés.

Vous proposez une « écophilosophie », un avenir politique de la Flandre et de la Belgique basé sur un système bipartite, l’un conservateur, l’autre progressiste, attentif tous deux aux fondamentalismes et aux intégrismes qui se développeraient à leurs périphéries, loin du bel équilibre centriste…

Ce sont les 10 dernières pages de mon bouquin et je dois avouer que j’ai évolué à ce sujet depuis lors. Cette idée de deux grands partis ne me semble plus adéquate, elle renvoie trop au système américain, notre mode de scrutin est finalement beaucoup plus diversifié, on ne se retrouve pas avec deux partis libéraux, l’un légèrement plus progressiste que l’autre.

C’est étonnant, quand on regarde des débats à la VRT, on voit des responsables de partis traditionnels qui blaguent, qui se tapent sur l’épaule avec des dirigeants du Vlaams Blok !?

Mais concrètement, il y a des Blokkers à tous les niveaux ! Au Conseil de direction de la bibliothèque d’Anvers, où je siège, ils sont nombreux. De plus, ce ne sont pas tous des débiles marginaux, des conservateurs évidemment mais pas nécessairement fachos. C’est aussi pourquoi j’ai toujours trouvé plus intelligent de combattre le Blok sans l’isoler en dehors de soi, en se disant, le Blok, ce sont les autres. Car ce type de raisonnement est pour moi un raisonnement typique du Blok. Cela dit, ça ne veut pas dire qu’il faut briser le cordon sanitaire au niveau de la coalition politique. Le dernier congrès du Blok vient de se terminer, le thème en était le cordon sanitaire, on y a vu de nouveaux membres, un grand businessman libéral nommé Van Gaever, par exemple. De façon analogue, Ward Beysen, avec son parti, le Liberaal Appel, n’est pas contre le fait de travailler avec le Blok non plus. Cela se banalise, la frontière est devenue très fluide et plus fine entre le Blok et les autres partis.

Et vous pensez que la même chose pourrait se passer en Wallonie ?

Oui, la Wallonie n’est pas du tout immunisée contre l’extrême droite. Mais je ne pense pas que l’extrême droite traditionnelle puisse y faire des scores mirobolants. Je pressens plutôt un scénario à la Pim Fortuyn, un parti très conservateur se créant en très peu de temps et attirant un grand nombre de voix. La Wallonie ne possède pas un parti aussi structuré que le Blok. Depuis le temps que ce parti reçoit des subventions, tout en n’étant pas au pouvoir, il peut économiser sur les services de recherche et investir un maximum dans la propagande. Dans toute la Flandre est diffusée une revue à plusieurs millions d’exemplaires, c’est dément. Néanmoins, dernièrement, j’étais heureusement étonné de ce que Milquet raconte, le CDH a l’air d’être plus à gauche que le CdenV. En général du reste, il y a un pôle de gauche plus fort en Wallonie qu’en Flandre.

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