On a coutume d’opposer l’intégration à l’européenne au multiculturalisme à l’américaine. Visite de l’autre côté de l’Atlantique avec le directeur des affaires interculturelles à la ville de Montréal (service de la gestion stratégique du capital humain et de la diversité ethnoculturelle)…
Mehmet Koksal : Quels sont les problèmes de racisme qu’on peut rencontrer à Montréal ?
Maurice Chalom : Les problèmes de racisme à Montréal sont sans doute les mêmes qu’ailleurs mais peut-être avec beaucoup moins d’acuité. On rencontre essentiellement des problèmes d’accès au logement, d’accès à l’emploi et d’accès aux services municipaux de proximité (par exemple les services de loisirs, de sports, de bibliothèques) qui ne sont pas toujours adaptés aux besoins des différentes communautés ethnoculturelles. Cela soulève différentes questions liées à l’intégration. Est-ce que l’offre de services municipaux est bien adaptée à la population ? La ville de Montréal fait-elle assez d’efforts pour véritablement être une ville inclusive ?
A votre avis ?
Maurice Chalom : Bon, la ville fait tous les efforts qu’elle peut mais à la différence des villes européennes, le champ municipal local exclut des compétences telles que l’éducation ou les services sociaux qui relèvent d’un autre palier de gouvernement provincial. Il devient donc impératif de négocier des ententes avec les différents paliers pour pouvoir utiliser les outils d’action sur le terrain. La ville de Montréal est donc obligée de développer une gestion politique plus intégrée sans pour autant considérer les communautés ethniques comme ayant des besoins purement particuliers. Donc, l’idée est d’avoir une vue beaucoup plus « transversale ». On est souvent visité par des délégations belges, françaises ou suisses pour voir s’il existe un modèle montréalais sur les relations entre « communautés ethniques » et le groupe majoritaire francophone québécois. Mais si on compare Montréal à d’autres villes canadiennes, et particulièrement la ville reine en la matière qu’est Toronto, on se rend compte qu’on a également beaucoup de choses à apprendre. Par exemple, à Toronto, on ne parle même plus de relations interethniques mais de « diversity ». L’équivalent de mon bureau à Toronto s’occupe en réalité de tout ce qui touche les groupes dits minoritaires : communautés culturelles, minorités visibles (noirs, latinos, arabophones et asiatiques), gays et lesbiens, familles monoparentales, etc. Bref, une approche beaucoup plus large sous le vocable de la diversité. Pour vous donner quelques repères, le Québec est peuplé d’environ 7 millions d’habitants, l’île de Montréal compte 1,8 million de personnes et si en plus on prend les deux couronnes nord et sud on arrive facilement à 3,5 millions. Donc, quelque part la moitié de la population du Québec est concentrée sur l’île de Montréal et ses proches environs. La province devrait donc commencer à considérer l’île de Montréal non pas comme une municipalité parmi d’autres mais comme le poumon de la province du Québec.
Qu’est-ce qui explique l’absence de visibilité politique de partis xénophobes à Montréal ?
Maurice Chalom : La grande différence avec la Belgique ou la France, c’est qu’à Montréal les partis politiques au niveau municipal ne sont pas les mêmes qu’aux deux autres niveaux de pouvoir (provincial et fédéral). Le municipal n’est pas du tout considéré comme la petite succursale des grands partis politiques du niveau supérieur et c’est là une différence radicale avec le système européen. La conséquence négative est qu’il n’existe pas ici de culture politique au niveau municipal mais l’effet positif est qu’on ne retrouve pas de partis d’extrême droite sur des enjeux municipaux. Il n’y a pas de polarisation sur des sujets comme l’immigration pour en faire un enjeu politique. On retrouve bien entendu dans certaines régions du Canada des embryons de partis politiques xénophobes extrêmement minoritaires mais cela ne fait tout simplement pas partie du paysage canadien.
Revenons sur les communautés ethnoculturelles. Quelles sont les vagues d’immigration à Montréal ?
Maurice Chalom : Les premières vagues d’immigration datent de trois siècles et concernent les populations irlandaises et juives. Une forte communauté noire anglophone est venue s’installer au Canada dès le début du 19e siècle. Plus récemment, nous avons eu les vagues d’immigration d’Europe de l’Est dans les années 40 et 50, l’immigration grecque et portugaise dans les années 60 ainsi que l’intelligentsia haïtienne dans les années 60. La dernière vague d’immigration a été extrêmement diversifiée : chinoise, sud asiatique, sri lankaise, bengladesh, marocaine, tunisienne, algérienne, iranienne, philippine,… Aujourd’hui, grosso modo, les analyses indiquent entre 120 à 130 communautés ethniques différentes présentes à Montréal. Ce qui représente 40 à 45 % de la population montréalaise qui n’est ni d’origine britannique ni française. Donc, si vous vous baladez à Montréal, vous allez retrouver la « Petite Italie », la « Petite Haïti », le « Quartier Chinois », le « Quartier juif »,… donc c’est une ville très cosmopolite mais les communautés ethniques ne sont pas fermées par rapport aux autres. Le bon exemple est notamment celui des Chambres de commerce ethniques. Ces Chambres de commerce développent principalement du business avec leur diaspora et le pays d’origine et on s’est rendu compte qu’il existait aussi beaucoup d’échanges entre les différentes Chambres de commerce pour s’échanger les « bons coups », faire des alliances pour des développements économiques, etc.
Quelque chose qui m’a frappé directement, c’est l’inscription : « Hôpital chinois de Montréal ». A Bruxelles ou à Paris, on serait très vite taxé de communautarisme pour moins que cela. Comment ça marche ? N’y a-t-il que des Chinois d’origine dans cet hôpital ?
Maurice Chalom : Pas du tout. C’est simplement un hôpital construit par telle communauté. Par exemple, nous avons également le Jewish hospital (Hôpital juif) qui historiquement servait une clientèle parlant le yiddish ou avec des principes religieux spécifiques mais qui depuis 50 ans fonctionne comme un hôpital public.
Donc même si je ne suis pas chinois je peux me faire soigner à l’hôpital chinois et sans être juif à la Jewish hospital ?
Maurice Chalom : Evidemment. Il n’y a aucun problème à ce niveau. Depuis la fin des années 80, le Québec a réussi à obtenir du gouvernement fédéral le pouvoir de sélectionner ses immigrants venant de l’étranger. L’idée avancée était de dire : comme le Québec représente grosso modo 25 % de la population canadienne, ne peut-on pas revendiquer le droit d’avoir 25 % des immigrants venant sur le sol canadien ?
Ici, vous vous battez pour avoir plus d’immigration ?
Maurice Chalom : Oui parce qu’il existe des enjeux démographiques. Au Québec, il existe un système de points basé sur la connaissance des langues, des professions, etc. Si en bout de piste et après un entretien, le candidat obtient les points nécessaires, le gouvernement du Québec lui octroie un certificat d’éligibilité en fonction de sa catégorie « indépendant ». La catégorie « réunification de famille » est une compétence partagée entre la province et le gouvernement fédéral et enfin la catégorie « revendicateur du statut de réfugié » reste de compétence fédérale. Donc, tout candidat est sélectionné. Ensuite, le véritable enjeu devient l’intégration à travers des cours de langues, des reconnaissances de diplômes,…
Retour sur le terrain politique. Comment se passe la participation politique des minorités ethnoculturelles à Montréal ?
Maurice Chalom : Montréal compte 107 élus au niveau municipal y compris les élus qui siègent aux conseils d’arrondissements pour un total de 1,8 million d’habitants. A Toronto, ils sont environ 50 élus pour pratiquement 2,5 millions d’habitants. Il y a bien entendu très peu d’élus issus des minorités ethnoculturelles. Pour donner quelques exemples, il y a un élu comme Alan DeSousa d’origine indo-pakistanaise qui s’occupe du développement durable, une autre est Helen Fotopoulos d’origine slave. Le clivage gauche-droite n’existe pas au niveau municipal puisque les enjeux se résument en réalité aux fameux nids de poule à réparer, la propreté, les graffitis, les logements abordables… bref des enjeux qui ne nécessitent pas des clivages idéologiques comme en Belgique ou en France. Comme je l’ai déjà dit, il n’existe pas de filiation politique entre les différents niveaux de pouvoir.
Les partis jouent-ils sur l’électorat ethnique ?
Maurice Chalom : Oui. Si dans tel arrondissement, il existe une forte population de telle origine, chaque parti va essayer de trouver un candidat issu de la même communauté mais ça reste une démarche très nord-américaine. C’est logique. Si le fait d’avoir un candidat chinois pour ramasser des voix au sein de la communauté chinoise de Montréal est un atout, je vais tout faire pour m’en trouver un. Ce n’est pas le critère de compétences qui prime puisqu’il y a plein d’incompétents au niveau municipal mais le critère de rentabilité électorale. Je répète le combat au niveau municipal n’est pas du tout idéologique. On n’est pas au Conseil de sécurité des Nations Unies, il s’agit surtout de gérer des nids de poules, des poubelles, la circulation, un budget limité, etc. Une autre particularité concerne l’affichage : tout se fait en français ou en anglais.
Interdit d’afficher dans sa langue d’origine ?
Maurice Chalom : Interdit parce qu’on est au Québec et qu’ici la langue publique de communication est le français. Ca n’empêche pas les candidats de faire un petit discours dans une autre langue lors d’un dîner de campagne au sein de communauté d’origine mais on ne peut pas afficher dans une autre langue que la langue officielle à savoir le français. On peut aussi afficher en anglais pour autant que l’anglais sur les affiches ne représente pas plus d’un tiers des textes affichés en français. Il faut une prédominance du français. Seuls les arrondissements à statut spécial bilingue (français-anglais) permettent l’affichage unilingue en anglais ou en français au choix.