La situation des « Noirs » de Belgique au regard du passé colonial belge

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Le but de cet article sera de mettre l’accent sur une réalité que le monde occidental a souvent choisi d’occulter à savoir le lien entre les images stéréotypées du Noir d’hier et nos représentations stigmatisantes, voire, racistes d’aujourd’hui. Au préalable, j’essayerai de démontrer à travers un bref récapitulatif historique quelle fut la spécificité de la Belgique dans ses rapports avec l’altérité noire. Et enfin, je tâcherai d’étayer mon discours à l’aide de quelques exemples de discriminations ou de représentations dont les Noirs sont toujours victimes.

 

1. La spécificité de la Belgique dans ses rapports avec l’altérité noire

Contrairement à d’autres Empires coloniaux comme la France, il n’y a pratiquement pas eu de contact entre la population belge et les indigènes congolais durant toute l’époque coloniale. En effet, d’une part, les autorités censuraient systématiquement les informations sociales et politiques en provenance de la colonie ; et d’autre part, très peu de congolais ont eu accès au territoire belge qui, sauf de rares exceptions, leur était interdit.

Tout d’abord, pour illustrer mon propos, je pense qu’il est intéressant de vous parler brièvement de l’ouvrage célèbre Zoos Humains. Au temps des exhibitions humaines (1) réalisé sous la direction entre autre de Pascal Blanchard et Nicolas Bancel. Cet ouvrage met en lumière l’utilisation des exhibitions humaines en occident pour réaffirmer le clivage entre civilisation et primitivisme grâce à un processus visuel qui consistait à hiérarchiser les races tout en les exhibant. Les auteurs démontrent que les exhibitions étaient conçues pour un public de masse et permettaient aux classes populaires, elles mêmes à peine cultivées, d’acquérir un sentiment de supériorité qui validait à leur yeux la nécessité de la mission civilisatrice de leur pays. Moyen de propagande efficace, les exhibitions humaines permettaient aux gouvernements de s’assurer le soutien de leur opinion publique respective. Mais dans ce domaine, la Belgique s’est différenciée des autres puissances coloniales. En effet, il y eu certes des exhibitions ; mais celles-ci furent interrompues dès la troisième, en 1897, suite au scandale provoqué par le décès de sept congolais (dû à leurs déplorables conditions de vie). La propagande coloniale se limita ensuite à la diffusion d’images, affiches, livres, films, etc. et il fallut attendre l’exposition universelle de Bruxelles en 1958 pour revoir des êtres humains exhibés dans ce type d’exposition alors que ces spectacles n’ont cessé d’attirer les foules partout ailleurs. Cet exemple montre que même dans les moyens mis en œuvre à travers son processus de propagande, la Belgique s’est très vite différenciée des autres empires en optant, il est vrai un peu malgré elle, pour une mise en scène à distance de ses colonies et de ses indigènes évitant ainsi tout contact et tout risque de sympathie des belges vis-à-vis de ceux-ci.

Achantis exhibés au Jardin d’Acclimatation de Paris en 1895

Ensuite, nous pouvons relever que la Belgique contrairement à la France n’a pas connu la présence de soldats africains durant les deux guerres. En effet, les troupes coloniales belges ont uniquement combattu sur les fronts du continent africain. Par conséquent, les mentalités belges n’ont pas été touchées par les images de ces congolais, héros ou martyrs, partis défendre la Belgique.

Il faut également noter que la politique d’éducation des missionnaires était de ne pas former des intellectuels mais bien des prêtres, des commis propre à aider les administrations ou de développer l’enseignement technique et spécialisé afin d’éviter les risques de révolte contre le pouvoir en place. Or, si on ne forme pas d’intellectuels, on ne risque pas de devoir accueillir ces derniers dans les universités belges. Ainsi, il n’y eu en Belgique qu’une poignée d’individus admis dans les universités dans les années 50 alors que Paris accueille depuis le début du 20e siècle un nombre de plus en plus important d’étudiants africains, antillais, réunionnais et guyanais.

Et enfin, alors que l’Europe se lançait dans l’importation de forces de travail après guerre, la Belgique (contrairement aux pays limitrophes) ne fit pas appel aux travailleurs de l’Afrique subsaharienne, malgré ses liens historiques avec plusieurs Etats Africains et son passé colonial en Afrique Centrale.(2)Soulignons également que tandis que dans les autres métropoles, le débat concernant la décolonisation s’est déroulé immédiatement, il n’a été traité publiquement en Belgique que vingt ans plus tard. De telles réticences (…) pourraient aussi s’expliquer par le fait que les hégémonies actives au temps colonial, la trinité (…), Eglise, Etat, Grandes sociétés – sans oublier la Couronne -, ont longtemps continué à peser de tout leur poids pour décourager la critique. (3) Il faut ajouter à ces éléments le malaise d’une indépendance qui n’a pas été acceptée sans frustrations ainsi que le maintien de relations ambiguës entre le pouvoir belge et la dictature de Mobutu.

Ces exemples nous amènent à conclure qu’excepté les informations provenant des proches exilés au Congo, le belge n’a pu se représenter le congolais que par les images et les discours préalablement filtrés par l’appareil de propagande coloniale. Notons également que cette politique coloniale belge, visant à limiter les contacts entre la population belge et les personnes originaire d’Afrique subsaharienne, va avoir une influence décisive sur le flux migratoire de ces derniers sur le sol belge ainsi que sur les politiques d’intégration ou plutôt sur l’absence de politique d’intégration pour ces populations. J’y reviendrai plus loin.

2. Les représentations qui émergent de la propagande coloniale

Le motif invoqué pour justifier l’acquisition du Congo par Léopold II est celui de l’œuvre civilisatrice et évangélisatrice. On insiste également sur le rôle héroïque des braves belges partis sauver les misérables noirs des négriers arabes. Sous ce prétexte philanthropique se cachait en réalité la volonté d’éviter la perte de main d’œuvre occasionnée par la traite. Quant au véritable but de la colonisation, il était économique.

Pièce centrale du monument à Léopold II de 1951 au  » Spetz  » à Arlon. Inscription : « j’ai entrepris l’oeuvre du Congo dans l’intérêt de la civilisation et pour le bien de la Belgique – Léopold II – 1835-1906 ».

Pour renforcer son discours, l’Etat colonial va s’appuyer sur les théories raciales érigées en dogme par la science occidentale. En effet, c’est l’époque du positivisme et la science ne reste pas neutre, notamment l’anthropologie physique qui veut établir une hiérarchie des races et devient une discipline qui découpe, classe l’humanité et utilise l’anthropométrie, la physionomie, l’anatomie comparée et la craniologie. Toutes ces disciplines partagent la même conviction que dans la forme extérieure se manifeste le caractère interne des différentes races. 

Dans ce contexte, le congolais devient l’objet de multiples descriptions physiques et psychologiques qui l’enferment dans des stéréotypes et préjugés diffusés sur les nombreux supports tels que : la photographie de presse, les gravures, la carte postale, la bande dessinée, les affiches publicitaires, les emballages commerciaux, les manuels scolaires de géographie ou d’histoire, le roman exotique ou colonial, les revues missionnaires ou scientifiques, la presse écrite, le cinéma, etc. Parmi ces descriptions, je me suis astreinte à relever les plus significatives et qui influencent toujours nos représentations actuelles. Concernant leur mode de vie, les africains noirs sont présentés comme misérables, sales, sans hygiène, vivant dans le désordre et la crasse, ne disposant que d’outils rudimentaires, d’une agriculture primitive, vivant en autarcie, ne connaissant pas la science, n’ayant pas d’histoire et par conséquent, on les décrit comme étant dépourvus de culture et d’intelligence, bref uniquement des descriptions traduisant leur infériorité présumée ainsi que leur mode de vie primitif. Concernant les traits de caractère, le « nègre » est décrit comme étant impulsif, sournois, vaniteux, comme étant inapte à faire des prévisions à long terme, à prendre des initiatives ainsi qu’à abstraire. On met l’accent sur son sens de l’imitation, sa paresse, sa psychologie infantile, sa lascivité, sa dépravation morale (comme sa tendance au vol et au meurtre ou encore ses actes d’anthropophagie) et sexuelle (la femme par exemple était présentée comme une bête de somme et de plaisir tandis que les rapports sexuels des noirs étaient comparés aux accouplements des animaux) ; bref sur des traits de caractères qui justifient qu’il se fasse commander par le blanc ainsi que le rôle de subalterne auquel on l’assigne dans le processus de colonisation. La colonisation se présentait donc comme une action urgente et bienfaisante dont les congolais avaient besoin pour être amenés dans la civilisation.  Deux nègres avant leur départ pour l’Exposition d’Anvers en 1894. (Tervuren, M.R.A.C.) Deux nègres après leur retour de l’Exposition d’Anvers en 1894. (Tervuren, M.R.A.C.)

Beaucoup de descriptions sont en réalité des comparaisons mettant l’accent sur la bonté des européens et sur la brutalité, la bestialité, les comportements instinctifs et primitifs des noirs. A ce sujet, il est intéressant de noter que l’attrait de l’époque pour l’exotisme pousse les auteurs à accentuer les différences entre la civilisation et le folklore, les mœurs et coutumes des africains. Les données ethnographiques sont d’ailleurs systématiquement coupées de leur contexte de façon à mettre l’accent sur l’étrange, le grotesque. On peut donc dire, sans risquer de faire une comparaison anachronique, que la propagande de l’époque agissait selon les mêmes principes que la presse à sensation actuelle. Ainsi, les « bizarreries » des africains utilisées de façon récurrente par la propagande sont entre autres ; la polygamie, l’anthropophagie, l’achat des femmes, la sorcellerie, la présence de sociétés secrètes et d’hommes léopard, etc.« Illustration Congolaise », août 1928. « Deux hommes d’un village de cannibales viennent demander un instituteur » Le thème du cannibalisme a également été repris par la publicité.

Pourtant ces images diffusées ne pouvaient pas être viables à long terme car montrer des colonies toujours sauvages, c’était montrer l’échec de la mission civilisatrice. Les nouvelles représentations de l’autre présentaient des indigènes toujours inférieurs dans la hiérarchie des races, mais désormais domesticables et donc en marche vers le progrès et la civilisation. En réalité, ces nouvelles représentations ne se sont pas substituées aux précédentes mais se sont simplement ajoutées à elles. Ainsi, si les missionnaires insistent sur l’immoralité des congolais, ils écrivent tout de même que leur combat contre ces païens débouchera, sans exception, sur la conversion de ces derniers. La figure ambivalente de « l’évolué » est ici intéressante à analyser. On présente ce dernier comme un être qui a été éduqué grâce à ses contacts avec le colonisateur mais on s’empresse de préciser qu’il reste malgré tout un pâle imitateur du blanc ou un grotesque animal apprivoisé. « Illustration Congolaise », août 1928. »Imitation du steamer kigoma par un nègre Isangi.Le nègre ne crée rien. Il imite admirablement

3. Liens entre représentations passées et présentes

Il est courant d’entendre deux types de réflexions contradictoires à propos des immigrés qui peuvent parfois être formulées par les mêmes personnes : « les étrangers ne veulent pas travailler et profitent des avantages de notre système tels le chômage ou les allocations familiales » ainsi que « les étrangers nous volent notre travail ». Ces deux préjugés ont pour origine, selon Luk Vandenhoek (4), l’époque où les noirs étaient soit esclaves soit colonisés. Ainsi, ils ont le devoir de travailler mais ne doivent surtout pas obtenir les mêmes salaires ou les mêmes avantages et encore moins des postes plus élevés que les blancs.

Parmi les stéréotypes constamment réactualisés par les médias et véhiculés par l’opinion publique, on peut également relever celui du noir qui a la musique dans le sang ou celui du noir spécialement doué pour le sport. Ces deux stéréotypes traduisent la croyance selon laquelle les noirs, peu intelligents, sont supérieurs dans le domaine des sens c’est-à-dire de la sensation et de la sensualité, et sont donc plus sollicités par l’action corporelle. A ce propos, la sexualité des noirs et leur prétendue puissance sexuelle font partie des stéréotypes qui émergent eux aussi de cette croyance et de la volonté de reléguer l’homme noir au domaine de la nature en opposition à l’homme blanc qui se réserve le domaine de la culture. Ce thème est d’ailleurs utilisé de façon récurrente dans les films, les magazines de voyages ou par le tourisme qui pour répondre à la soif d’exotisme des spectateurs et clients occidentaux contribuent à diffuser une image primitive de l’Afrique.

Enfin, le mode de vie des noirs présenté comme misérable est le thème de prédilection des campagnes utilisées par les ONG pour encourager l’aide au Tiers Monde. Elles font donc plus appel à la charité qu’à la solidarité pour récolter des fonds ; et par conséquent participent à la diffusion de l’image d’une Afrique qui ne parvient pas à sortir de la misère sans l’aide des blancs.

Illustration commentée par Edouard Vincke : « Nonkel missionaris » : Couverture du livre « Nonkel Missionaris vertelt » (Tonton Missionaire raconte). Année ? Anonyme. Mise en scène à la dualité classique. L’Européen a les traits bien dessinés, le Congolais non. Position de domination par rapport au Congolais infantilisé. La ressemblance entre les deux images est frappante. En effet, toutes deux présentent un petit africain totalement dépendant de l’aide occidentale.

Ce retour vers le passé m’a permis de démontrer que les préjugés concernant les noirs, qu’ils soient négatifs ou quelques fois positifs, agissent toujours comme des prisons qui enferment les sujets dans des images globalisantes, interdisant ainsi toute individualité et gommant les différences culturelles au point de rendre ces même sujets interchangeables alors qu’ils n’ont en réalité qu’une couleur de peau en commun. Ainsi, un préjugé ne peut jamais être positif ! Ces images ne se basent que sur des réalités déformées par le prisme des fantasmes et c’est pour cette raison qu’elles nous informent sur les mentalités de leurs auteurs bien plus que sur les peuples qu’elles sont censées décrire.

4. La situation actuelle des noirs en Belgique à travers deux exemples de discrimination

4.1. Flux migratoires et limites des politiques d’intégration

Comme je l’ai souligné précédemment, il a fallu attendre les années soixante pour voir arriver sur le sol belge des ressortissants de l’ex-colonie du Congo ainsi que du Rwanda et du Burundi, anciennement sous tutelle belge. Ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt que la population d’origine africaine auparavant essentiellement formée d’étudiants, va se diversifier sur le territoire belge. Du fait de l’instabilité socioéconomique et politique des pays d’origine, on voit apparaître des flux de demandeurs d’asiles originaires de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. (5) En effet, ces populations, qui au départ n’avaient pas officiellement vocation à s’établir définitivement en Belgique, se sont pourtant de plus en plus installées de manière durable. Or, les politiques d’intégration n’ont pas pris en compte ces populations, considérant toujours ces dernières comme des populations de passage ; et par conséquent, celles-ci n’ont pas fait l’objet de mesures particulières destinées à favoriser leur insertion. (6)

De plus, les politiques d’intégration menées en Belgique ne tiennent pas compte des spécificités des différents groupes « ethniques » issus de l’immigration. Cela se traduit par le fait que la plupart des actions menées ces dernières années n’étaient pas adaptées à la situation particulière des noirs. Ce phénomène aboutit donc à une hiérarchisation des « allochtones » dans l’ordre des priorités en matière d’intégration.

4.2. La situation particulière des noirs à travers l’exemple de la discrimination à l’embauche

Une des difficultés majeures que rencontrent les personnes originaires de l’Afrique subsaharienne concerne leur position ambiguë sur le marché du travail. En effet, la situation des ressortissants du continent noir est tout à fait spécifique car la plupart d’entre eux ont un niveau d’éducation relativement élevé. Effectivement, en Belgique, l’immigration africaine a été et est encore largement une immigration estudiantine (7). Pourtant, les politiques d’intégration ainsi que les programmes de sensibilisation (…) postulent de manière presque systématique, que les étrangers seraient en règle générale, peu qualifiés par rapport aux exigences du marché ou en tous cas moins qualifiés que les belges (8). Ainsi, beaucoup de programmes visent, par exemple, à augmenter le niveau de qualification des demandeurs d’emploi étrangers. La conséquence des discriminations à l’embauche que subissent les africains subsahariens est qu’ils se retrouvent dans l’obligation d’accepter des emplois qui ne correspondent pas à leur niveau de qualification. Ce qui contribue encore à rendre invisible la problématique aux yeux des pouvoirs publics. De plus, pour certains d’entre eux, le besoin d’obtenir un travail étant capital pour obtenir d’autres droits, comme le droit de séjour ou la possibilité de trouver un logement, implique que ces derniers ne se plaignent pas de leur situation. Ceci contribue également à la méconnaissance de leur situation par les pouvoirs publics.

Il est important d’insister sur le passé colonial de la Belgique pour expliquer la discrimination à l’embauche dont les noirs sont les victimes. Ainsi, parmi les stéréotypes dont on affuble souvent ces derniers et qui servent à expliquer pourquoi embaucher un noir peut être considéré comme un risque pour l’employeur, on retrouve le manque de ponctualité ainsi que la paresse et une certaine lascivité. Mais au-delà de ces stéréotypes que l’on peut encore qualifier d’inoffensifs, un constat plus grave s’impose : les noirs ne sont pas pris au sérieux, peu importe leurs diplômes, leur intelligence est constamment remise en question. Ainsi, à l’instar des textes coloniaux qui se moquaient ouvertement des « évolués », une partie de la population belgo-belge continue de considérer les noirs ayant fait des études comme de pâles imitations des blancs. Ce constat est lourd de conséquence car le mythe du « bon sauvage » dont la bonhomie est légendaire, permet encore aujourd’hui de justifier pourquoi en règle générale le belge dit ne rien avoir contre le noir mais lui dénie malgré tout toute forme de compétence. Selon l’imaginaire collectif, le nègre continue d’être classé du coté de la nature et on estime par conséquent qu’il ne peut fournir qu’un travail manuel sous la conduite de l’homme blanc. Il y a quelque chose de frustrant pour le belge, sur qui pèse encore cet imaginaire, de voir un noir disposer de qualifications ou d’un poste supérieur au sien comme si l’image du noir esclave était indélébile.

4.3. La situation des noirs face aux discriminations au logement

D’après les résultats obtenus lors de deux enquêtes menées par le MRAX (une quantitative auprès de locataires et une qualitative auprès des propriétaires), l’enquête menée auprès des locataires fait apparaître queceux qui expriment le plus souvent la discrimination raciale comme principale cause de leur difficulté à trouver un logement sont les personnes appartenant à la catégorie « africains sub-sahariens » (9). Cette enquête démontre aussi que 66.1% des Africains sub-sahariens disent avoir été discriminés que ces discriminations soient sociales et ethniques ou raciales.

L’enquête auprès des propriétaires fait quant à elle apparaître que si ces derniers réfutent que l’origine ethnique est un critère permettant de refuser la location d’un logement, ils laissent néanmoins sous entendre que ce n’est pas le fait d’être étranger que l’on discrimine, mais le fait que les personnes d’origine étrangère ne remplissent pas les autres critères de sélections (10).Ainsi, par exemple, le préjugé selon lequel les noirs n’ont pas de « bons » métiers et par conséquent pas de salaire suffisant permet de justifier pourquoi les noirs ne sont pas de « bons » locataires potentiels. Ici on remarque que la situation qui découle d’une discrimination à l’embauche entraîne une discrimination au logement.

Cette étude publiée par le Mrax démontre également que la stigmatisation des personnes d’origine étrangère comme locataires à risque repose sur des peurs dont certaines résultent d’expériences malheureuses vécues par le propriétaire. Mais beaucoup de ces peurs sont aussi le fruit de réputations véhiculées non au départ d’expériences concrètes mais de stéréotypes et de rumeurs (11). En effet, les noirs en Belgique sont victimes des représentations laissées par la propagande coloniale dans les mentalités collectives. Ainsi parmi les représentations concernant leur mode de vie, on retrouve leur incapacité à entretenir un logement car ils sont dits irrespectueux et bordéliques, ainsi que leur insensibilité à la saleté et aux mauvaises odeurs qu’il s’agisse de leurs propres odeurs corporelles ou de celles qui émanent de leur cuisine. Parmi les stéréotypes encore entretenus, les noirs cuisineraient toujours sur le sol et ce même s’ils ont à leur disposition un équipement moderne. On voit tout de suite le lien avec les descriptions datant de l’époque coloniale où le noir était décrit comme n’ayant pas d’hygiène et vivant dans des logement misérables et crasseux. On considère donc toujours le noir comme un être primitif, qui même s’il accède à un certain niveau social, ne peut se soumettre à un mode de vie civilisé et respectueux des biens d’autrui.

5. Conclusion

En guise de conclusion, j’aimerais vous parler du préjugé le plus souvent émis à l’heure actuelle : il s’agit du fameux « ils ne veulent pas s’intégrer ». Cette phrase magique utilisée par toutes les couches de la population, y compris par les politiques pour expliquer plus ou moins toutes les situations de crises où l’étranger a le premier rôle, est à mon sens l’expression qui traduit le mieux l’européocentrisme ambiant de nos sociétés. Au vu des exemples de discriminations que je viens d’évoquer, on pourrait se poser la question inverse : pourquoi ne parvenons-nous pas à intégrer nos « allochtones » dans le respect réciproque ? En effet, en ne garantissant pas aux étrangers ou aux personnes d’origine étrangère de disposer des droits élémentaires, nous ne pouvons attendre d’eux qu’ils approuvent notre système, surtout s’ils ont le sentiment d’être indésirables au sein de la société actuelle.

A travers cet exposé, j’espère avoir mis suffisamment en lumière le fait que la lutte contre les discriminations dont les noirs sont victimes, doit passer par une lutte contre les représentations héritées du passé colonial. Je pense que le cas de la Belgique illustre parfaitement le lien entre racisme passé et présent et nous permet de nous interroger sur les moyens d’action à adopter à l’avenir pour lutter plus efficacement contre ces discriminations.

Nathalie Bolland.

(1) BANCEL, Nicolas, BLANCHARD, Pascal, BORTSCH, Gilles, DEROO, Eric, LEMAIRE, Sandrine, Zoos Humains, Paris, Ed La Découverte, 2004. (2) KAGNE, Bonaventure, « Africains de Belgique, de l’indigène à l’immigré », inHommes et migrations, n°1228, Novembre/Décembre 2000, pp. 63-64. (3) DE MOOR, Françoise, JACQUEMIN, Jean-Pierre, Notre Congo/Onze Kongo, La propagande coloniale belge : fragments pour une étude critique, Bruxelles, CEC, 2000, p. 6. (4) VANDENHOECK, Luc, « De l’indigène à l’immigré », inRacisme Continent obscur. Clichés, stéréotypes, phantasmes à propos des Noirs dans le royaume de Belgique, Bruxelles, CEC, 1991, pp. 113-131. (5) KAGNE, Bonaventure, « Quelle(s) politique(s) d’intégration pour les personnes originaires d’Afrique subsaharienne en Belgique ? », in Nouvelle Tribune, n°31/32, Mars/Mai 2003, p. 94. (6) Ibid. (7) MEYERS, Jacques, « Un passé colonial qui discrimine (entretien avec Marie-Ange Bunga) », in Agenda interculturel, n°184, Mai 2000, p. 15. (8) Ibid. (9) MALGHEM, Luc, NOEL, Fançoise, PERROUTY, Pierre-Arnaud, REA, Andrea, Le livre noir de la discrimination au logement, Bruxelles, Mrax, 2004, p. 33. (10) Ibid, p. 35. (11) Ibid, p. 51.

 

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