Lundi 19 septembre dernier, sur le coup de 5h du matin, des policiers de la commune de Molenbeek ont violemment évacué le bâtiment que le collectif la « Voix des sans-papiers » occupait avec des familles depuis juillet 2014 dans le but de revendiquer un titre de séjour en Belgique. A l’issue de cette intervention musclée, plusieurs militants sans-papiers ont été arrêtés sans ménagement et 12 d’entre eux sont depuis lors enfermés en centres de rétention. Suite au refus de leur demande de libération en référé, vendredi dernier, leur avocate a introduit un recours (dont l’issue est inconnue à l’heure où s’écrit cette carte blanche), sans quoi ils seraient sous la menace d’une expulsion imminente.

Il n’y a pourtant dans tout cela, rien a priori d’inhabituel. La menace d’une arrestation et d’un placement en détention constituent la dure réalité des candidats malheureux à l’asile, devenus par la force des choses des « sans-papiers ». Sauf que l’évacuation de l’occupation de la « Voix des sans-papiers » et l’enfermement de 12 de ses militants ne semblent rien devoir au hasard. Cette opération a, selon toute vraisemblance, été préméditée par les autorités publiques en vue de couper la tête du mouvement sans-papiers bruxellois qui s’organise depuis plusieurs mois.

Cette offensive rappelle tristement l’affaire Hamed Karimi. Le 2 mars dernier, Hamed Karimi, réfugié afghan présent en Belgique depuis 12 ans, était arrêté par la police à la sortie de l’occupation le « Collectif des Afghans » à Etterbeek. Interné quelques jours au centre fermé de Vottem, le porte-parole du collectif qui réclamait un moratoire sur les expulsions vers l’Afghanistan, fût expulsé sans recours possible vers l’Afghanistan dont on sait aujourd’hui qu’il n’est pas un pays sûr.

Comme lors de l’arrestation de Hamed Karimi, l’évacuation de l’occupation de la « Voix des sans-papiers » détonne par les méthodes d’arrestation brutales et pour le moins démesurées mises en place : 200 policiers armés, une dizaine de chiens, une vingtaine de combis de police, un hélicoptère et une section des forces spéciales étaient dépêchés ce jour-là. Un tel contingent n’avait, de mémoire de Bruxellois, jamais été déployé avec cette ampleur pour déloger des « squatteurs ». Nous sommes en droit de questionner l’utilité (et le coût ?) d’un tel dispositif (quasi militaire) pour interpeller les douze personnes pacifiquement recluses à l’intérieur du bâtiment. Si ces déploiements sont en passe de devenir monnaie courante dans la lutte anti-terroriste, rien ne justifie que des personnes qui n’ont commis aucun crime soient intimidées et violentées de la sorte.

Notons également que, comme M. Karimi, les 12 militants sans-papiers enfermés sont des figures importantes du mouvement pour le droit des personnes migrantes en Belgique. Ils sont à ce titre, très bien connus des autorités. Ils occupaient, avec familles et enfants, cette maison de repos désaffectée boulevard Léopold II de manière tout à fait publique (c’en était même l’enjeu), ses occupants s’exprimaient régulièrement lors de manifestations et jouaient, pour certains d’entre eux, le rôle d’intermédiaire avec les autorités. Leur arrestation est d’autant plus scandaleuse que les occupations de sans-papiers sont les rares espaces de visibilisation de la cause des migrants sans-papiers à Bruxelles. Il est profondément inacceptable qu’en plus des injustices que subissent les personnes sans-papiers en termes de droits et de l’exploitation dont ils sont victimes, les militants sans-papiers se fassent rafler dans les seuls espaces d’expression politique qu’il leur reste.

Enfin, l’arrestation des 12 militants est la conséquence directe de la proposition du secrétaire d’Etat à l’Asile et aux Migrations, Theo Francken, d’autoriser les forces de l’ordre à pénétrer chez les sans-papiers sans mandat. Cette proposition fût avalisée il y a quelques semaines par le ministre de l’Intérieur en personne via son compte Twitter. Ce faisant, Jan Jambon préconisait à ses agents d’enfreindre l’article 15 de la Constitution sur l’inviolabilité du domicile, ni plus ni moins, pour en déloger des sans-papiers, leur seule présence constituant selon le ministre un cas de flagrant délit. Le communiqué du ministre de la Justice, Koen Geens (Le Vif, 29/09/2016) a heureusement remis les pendules à l’heure en se chargeant de préciser, contre l’avis de l’Intérieur, que « le flagrant délit doit précéder l’entrée dans l’immeuble et ne pas être constaté après l’entrée ». Lors de l’audience des militants de la Voix des sans papiers le juge des référés en a pourtant décidé autrement. Nous espérons vivement que la prochaine décision juridique ira dans le sens des droits constitutionnels et se soldera par la libération de ces militants illégitimement enfermés.

Toute arrestation, tout enfermement de migrant qui n’a pour autre chef d’accusation que son statut de migrant doit être dénoncé. Il faut le répéter, quitte à le marteler, migrer n’est pas un crime, chercher une vie meilleure à l’étranger n’est pas un délit ! Nous nous insurgeons contre cette tentative d’intimidation qui vise à briser l’organisation politique et la mobilisation des migrants en s’en prenant à ses porte-paroles. Nous exigeons la libération immédiate des sans-papiers de la « Voix des sans-papiers » retenus illégitimement (et anticonstitutionnellement à en croire Koen Geens) en centres fermés depuis le 19 septembre ! Tout comme ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on fait baisser la température, ce ne sera pas en empêchant les migrants de s’exprimer sur la place publique et de porter leurs revendications dans le débat politique que l’on résoudra la question des sans-papiers.

Signataires :

Collectif de recherche Migrations et Luttes Sociales (MLS)

La Ligue des Droits de l’Hommes (LDH)

Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie (MRAX)

Nourredine Arban, SansPapiersTV

Nawal Bensaïd, Chercheuse ULB

Xavier Briké, Chercheur UCL

Joseph Burnotte, Formateur FGTB

Anais Carton, CBAI

Véronique Clette, Chercheuse ULB

Carlos Crespo, Président du MRAX

Andrew Crosby, Chercheur, ULB

Barbara Delcourt, Prof. Science-politique, ULB

Martin Deleixhe, Docteur en sience-politique, USL-B

Alexis Deswaef, Président de la Ligue des Droits de l’Homme

Abraham Franssen, Prof. Sociologie, USL-B

Mattéo Gagliolo, Prof. ULB

François Gemenne, Chercheur qualifié du FNRS, Observatoire Hugo, ULg

Corinne Gobin, Politologue ULB

Christine Guillain, Prof. Droit USL-B

David Jamar, Université de Mons

Eva M. Jiménez Lamas, Responsable de l’Action des Travailleurs Migrants, CSC BHV

Laura Leprêtre, Prof. IHECS, Directrice du master en Communication Européenne

Maria Martin de Almagro Iniesta, Docteure, Assistant Professeur, VUB

Marco Martiniello, Prof. ULG

Carla Mascia, Chercheuse ULB

Gregory Mauze, Transform Network

Jacinthe Mazzocchetti, Prof. Anthropologie, UCL

Aude Merlin, Prof. Science-politique, ULB

Léila Mouhib, Docteure en science-politique, ULB

Serge Noel, Président de SOSMigrants

Laura Odasso, Chercheuse ULB

Denis Pieret, PhiloCité

Camille Reyniers, Chercheuse ULB

Pietro Tosi, animateur CIEP/MOC Bruxelles

Martin Vander Elst, Chercheur-enseignant

Aurore Vermylen, Chercheuse UCL

Youri Lou Vertongen, Chercheur USL-B

Henri Wajnblum, Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB)