Un citoyen/ une voix ?

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Quand on lance le débat sur l’octroi du droit de vote aux étrangers, souvent on se heurte au conformisme et à l’irrationnel. Les arguments pourtant ne manquent pas, certains d’ordre moral ou éthiques, d’autres beaucoup plus pragmatiques… Tentons une revue des préjugés auxquels on se heurte d’habitude, et des réponses possibles…

« Le droit de vote ? Mais madame, ils n’ont qu’à devenir belges ! Il y a des procédures pour ça… »

1) Beaucoup tiennent à conserver leur nationalité d’origine, pour des raisons souvent symboliques et qui leur sont personnelles : par fidélité à des ancêtres qui se sont battus pour la liberté, pour garder un peu de ses racines, en mémoire de son père… Au nom de quel principe et en quoi le symbolique doit-il influer sur l’exercice de droits concrets ?

2) L’argument repose sur une confusion entre citoyenneté et nationalité. On peut très bien être citoyen belge de nationalité étrangère. Etre citoyen suppose des droits et, en contrepartie, des devoirs. On appelle ça le contrat social. Les devoirs – respecter la loi, payer des impôts – s’appliquent à tous. Les droits – dont celui de contrôler l’usage qui est fait de ses impôts:non. Il n’y a pas contrepartie. On appelle ça une inéquité…

3) Contrairement aux idées reçues, il n’est pas si simple de devenir belge. Exemple : un des documents essentiels pour une demande de nationalité, c’est l’acte de naissance. Or beaucoup n’en disposent plus… On imagine le parcours du combattant qui s’ensuit… En 2000, 61% des demandes de naturalisation ont été refusée par la Commission. 39% de personnes demandeuses ne voteront donc pas.

« Est-ce que nous les Belges, on peut voter chez eux ? Non. Je ne vois pourquoi eux, ici, si la réciproque n’est pas vraie… »

1) Il est possible, en effet, que les pays dont sont originaires les populations immigrées ne soient pas tous des modèles de démocratie représentative. C’est même un euphémisme. Et souvent une des raisons qui a motivé le choix de partir (et si l’on admet que démocratie et prospérité marchent souvent de concert, c’est même souvent la seule raison.) N’est-il pas aberrant de brandir l’argument du pire ? De pénaliser des gens pour des politiques dont ils ne sont pas responsables, et que souvent même ils ont fuit ? Faut-il lapider les femmes adultères de nationalité nigérienne, sous prétexte qu’au Niger on lapide les femmes adultères ?

2) Comme si l’immigré devait être encore et toujours considéré comme propriété de son pays d’origine… Comme s’il était un être à part, ne raisonnant pas en fonction de ses intérêts sociaux et économiques du moment, comme nous le faisons nous-même, mais en fonction de sa seule nationalité…

« D’accord, à condition qu’ils fassent preuve d’intégration… Qu’ils passent un examen linguistique, par exemple… »

1) Si la compréhension de la langue était un critère valable pour octroyer le droit de vote, beaucoup de nationaux ne voteraient pas… L’UNESCO recense près de 400.000 analphabètes en Communauté française de Belgique, soit 10% de la population. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas d’opinion…

2) Quel(s) critère(s) aussi retenir pour déterminer le degré de belgitude d’un individu ? Le fait de supporter les Diables rouges ou de pouvoir entonner en flamand un couplet de Sandra Kim ? Le fait de boire de la bière plutôt que du thé à la menthe ? Je suis alcoolique donc je suis belge ? Quels critères ?

3) Apprendre les langues du pays, tout le monde est d’accord – les intéressés généralement les premiers. Mais l’offre de cours ne correspondant pas à la demande : les centres d’intégration et d’éducation connaissent d’interminables listes d’attente, et les cours ne sont pas toujours à la hauteur. Question de moyen, et de priorité politique, aussi…

« Si on leur laisse le droit de vote, on aura vite un Imam à la tête du pays, les femmes devront porter le tchador, etc. »

Argument grotesque, voire douteux, à plus d’un titre…

1) Un homme politique d’origine maghrébine, ou noir, ou jaune, et alors ? On juge les gens sur leur projet, pas sur le faciès (quoique ?). En Belgique, la majorité du corps électoral est marquée par la culture judéo-chrétienne. On n’a jamais vu pour autant un bourgmestre catholique se piquer d’interdire la pilule contraceptive sur sa commune.

2) On l’oublie souvent (forcément, ils sont moins repérables), mais la communauté étrangère la mieux représentée en Belgique n’est ni la communauté marocaine, ni la communauté turque, ni la communauté albanaise, ni.. ni… non, ce sont les ressortissants français : entre cent et trois cent mille… Il y a donc beaucoup plus de chance de voir un jour à la tête du pays un grand blond avec un oeil de verre – pardon amis français – qu’un Imam ou qu’un Pope.

3) Parce que c’est l’exclusion qui génère le repli identitaire et religieux, et non la participation… Mieux les individus sont intégrés, plus ils sont embourgeoisés – pardon amis marxistes -, et moins ils sont tentés par des politiques radicales…

« Encore un truc de la gauche pour gagner des voix… »

Même pas : l’expérience dans les autres pays montre que l’octroi du droit de vote n’entraîne que peu de glissements dans le spectre politique. Au Pays-Bas par exemple, si les minorité ethniques se sont tournées dans un premier temps plus volontiers vers les partis de gauche – forcément : ce sont les premiers partisans du droit de vote aux étrangers – très vite les voix se sont éparpillées sur tout le spectre politique…

« Il n’y a pas de consensus. Les petites gens sont contre… »

1) « La Flandre profonde est contre. Comme représentante des petites gens, je dois être contre aussi… » déclarait Jeannine Leduc (VLD), dans un accès de populisme bien dans l’air du temps. La Flandre profonde est contre ? Aucune étude sérieuse n’a jamais entreprise sur le sujet. Et quand bien même, le rôle du politique n’est pas toujours de suivre aveuglement la « vox populi » (dixit Patrick Janssens, président du SP.A) : le rôle du mandataire est aussi de mener des politiques responsables à moyen et à long terme. Fussent-elles parfois impopulaires.

2) Politiques impopulaires ? En 1995, une pétition reprenant 1.007.740 signatures (!) a été portée au Premier Ministre. Pétition qui exigeait l’égalité totale des droits pour les immigrés. Plus d’un million de signatures donc, en faveur du droit de vote…

3) Depuis, tous les partis politiques (à l’exception du VLD et du Vlaams Blok, évidemment) se sont prononcé clairement en faveur du droit de vote pour les étrangers non-européens (au moins pour les législatives). Seules des raisons politico-politiciennes ont empêché le vote de cette loi en mars 2002.

« Organisons un référendum, on verra bien… »

1) Le référendum, en effet, est le meilleur moyen de transformer un problème complexe en une question simple, dangereusement manichéenne et bien fallacieuse. Exemple. Si quelque homme politique particulièrement démagogue demandait à la population « désirez-vous, oui ou non, payer des impôts », la Sécurité sociale s’écroulerait vraisemblablement aussitôt. Pourtant, qui est contre la police, l’entretien des voiries, les hôpitaux, le ramassage des poubelles, l’eau qui sort du robinet… ?

2) L’électeur n’a pas toujours raison. C’est l’électeur qui a conduit Hitler au pouvoir…

« Donner le droit de vote aux étrangers, c’est faire le jeu de l’extrême-droite. »

1) Hypocrisie absolue que de tenter de faire avaler, par exemple, qu’en repoussant à plus tard (en l’occurrence après les prochaines législatives) le débat sur l’extension du droit de vote, on ne va pas offrir sur un plateau des arguments de campagne au Blok. On ne vise personne, mais quand même…

2) Abandonner certains quartiers parce que peu rentables électoralement parlant, ne pas investir dans l’équipement urbain (éclairage, espaces verts, équipements sportifs, etc.), c’est construire de véritables ghettos, c’est fabriquer de l’insécurité. Et fabriquer de l’insécurité, c’est fabriquer de l’extrême droite. L’extension du corps électoral obligerait les partis politiques à prendre en compte les problèmes spécifiques de certains quartiers, aujourd’hui complètement négligés parce que concernant d’abord (à très court terme) des non-électeurs… L’insécurité, tout le monde est contre, non ?

3) L’extension du droit de votes à tous les étrangers responsabiliserait les femmes et les hommes politiques, qui ne pourraient plus tenir des discours discriminatoires sous peine d’être sanctionnés électoralement par les intéressés.

4) Les non-belges ne peuvent pas voter, mais ils comptent quand même pour la détermination du nombre de siège aux élections communales. A Anvers, le Blok a ainsi reçu deux de ses vingt sièges sur base de cette aberration…

« Ce n’est pas une priorité… »

1) En effet, tout dépend des priorités… Si le discours sur l’insécurité n’est qu’un attrape-couillons (entendre par couillon : électeur terrorisé par ce qu’il entend à droite et à gauche – à droite surtout mais à gauche aussi, pas de sectarisme), s’il n’y a pas de volonté réelle d’apaiser les tensions, mais plutôt le désir de les exacerber, si le modèle de développement communal est celui du Schaerbeek des années Nols (par exemple)… alors effectivement, ce n’est pas une priorité. Cf point précédent.

2) A noter que les partis qui s’opposent farouchement au droit de vote des étrangers, ou pour lesquels « ça n’est pas une priorité », sont aussi les partis qui, à défaut de programme cohérent et/ou clair et intelligible, développeront les discours les plus sécuritaires, les plus matamoresques, bref ceux dont la lutte contre l’insécurité (l’Insécuritarisme ?) constitue le fond de commerce électoral… A méditer, l’expression « pompiers boutefeux » : les laisser jouer avec des allumettes ou tenter de les leur confisquer ?

« Oui mais enfin bon, leur culture n’est pas démocratique… »

1) Certains extrémistes, notamment religieux, notamment islamistes, ne sont pas des foudres de tolérance, c’est vrai. Mais aucune religion, aucune culture n’a le monopole de l’extrémisme. Pas la peine de chercher très loin pour trouver des exemples. On notera aussi, en passant, que la place de la femme selon l’extrême-droite est assez proche de la place de la femme telle que la rêvent certains fondamentalistes religieux : à la maison ! Et vite ! Fondamentalistes, intégristes, extrémistes : même combat.

2) Des principes comme l’égalité homme-femme, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, tout cela est garanti par la loi. La liberté d’expression aussi, en passant. Or, on tolère bien l’extrême-droite…

3) La démocratie, ça s’apprend, c’est même drôlement contagieux. A condition de ne pas en être systématiquement exclu, auquel cas il est bien naturel de développer des réflexes antidémocratiques, question d’ajustement psychologique à la réalité…

« Ils veulent avoir tous les avantages des belges, mais pas les inconvénients… »

Il faut être sourd et aveugle, idiot, ou alors de très mauvaise foi pour soutenir sans rire qu’il est plus confortable d’être étranger en Belgique que Belge. Trouver un logement, un emploi : mieux vaut mille fois être étiqueté BBB (Bleu-Blanc-Belge), pour reprendre une qualification utilisée en élevage bovin, et dans certaines agences d’intérim (chez Adecco, pour la citer). En 1997, une étude évaluait ainsi le taux de discrimination à l’embauche à 34, 27 et 39%, taux établis respectivement pour Bruxelles, la Wallonie et la Flandre (1)…

« Ils ne sont pas demandeurs… La politique, ils s’en fichent… »

1) On disait la même chose des ouvriers, puis des femmes, avant que ces catégories puissent voter. Essayez aujourd’hui de retirer le droit de vote aux femmes, pour voir…

2) On s’intéresse difficilement à quelque chose dont on est exclu. Qui ne joue pas au tiercé ne risque pas de se passionner pour les courses de chevaux, c’est normal. Participer, c’est aussi être amené à s’intégrer. Or, l’intégration, tout le monde est pour, non ?

« Je suis un vieux con, d’accord, mais désolé : moi je défends l’idée que mes ancètres se faisaient de la Patrie… »

1) Noble préoccupation, mais trois belges sur quatre ont au moins un parent, grand-parent ou arrière-grand parent étranger, si bien que le respect dû aux ancêtres…

2) En parlant d’ancêtres et de Patrie, nombre d’étrangers ont combattu et sont morts dans des conflits qui ne les concernaient pas pour un sou. Exemple : trois bataillons de fantassins marocains, enrôlés aux côtés des alliés pour la bataille de Gembloux – et enterrés à Chastres.

3) En parlant d’ancêtres et de Patrie (bis), nombre d’étrangers sont issus d’anciennes colonies. Rappeler quand même que les puissances occidentales, dont la Belgique, se sont joyeusement immiscées dans le devenir de populations qui ne demandaient rien à personne. Rappeler aussi que ces populations ont largement contribué à la prospérité actuelle de nos pays. Eviter par contre de souligner la responsabilité des Occidentaux dans la misère noire qui règne aujourd’hui là-bas : ça énerve l’interlocuteur. Expliquer simplement qu’à titre de réciprocité, peut-être que…

« Et puis merde ! la loi c’est la loi… »

1) Une loi, ça se change…

3) La Constitution a déjà été modifiée dans ce sens. Depuis le 1er janvier 2001, le Parlement peut étendre le droit de vote aux résidents de toute nationalité par l’adoption d’une loi ne nécessité aucune majorité qualifiée.

2) Toute loi n’est pas forcément conforme au dispositif légal dans lequel elle s’insère. Précisément : en 1975, la Belgique a approuvé la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Cette convention interdit les discriminations, notamment à l’accès aux droits politiques, entre ressortissants européens, et ressortissants non-européens. Depuis 2001, les Européens votent aux communales et aux européennes. Les Non-européens pas. Donc il y a discrimination… CQFD.

En guise de conclusion :

En Europe et au vingtième siècle, des droits politiques pour tous, c’est…

1. Un droit fondamental, consacré notamment par la déclaration universelle des Droits de l’Homme…

Art. 21 Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis.Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote.

Art. 2 Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté.

2. Un progrès social logique, dans une évolution dont personne ne remet en cause les étapes précédentes :

Quelques chiffres valent mieux qu’un long discours…

- 1831 : Suffrage censitaire (pour les hommes)
- 1893 : Suffrage universel plural (pour les hommes)
- 1919 : Le suffrage devient (à demi) universel : un homme une voix.
- 1920 : Extension du droit de vote aux femmes, pour les communales seulement (!)
- 1948 : Suffrage universel ; droit de vote généralisé aux femmes
- 1972 : Extension du droit de vote aux étrangers pour les élections sociales.
- 1986 : Extension du droit de vote aux 18-21 ans (abaissement de la majorité légale)
- 1998 : Extension du droit de vote aux ressortissants européens (pour les communales et les européennes)
- 2002 : Extension du droit de vote aux ressortissants étrangers non-européens ???

3. Une tendance générale en Europe…

- Pays-Bas : Effectif depuis 1985 pour les élections locales et régionales. Condition : cinq ans de résidence.
- Grande-Bretagne : Depuis 1948, pour toutes les élections. Accessible aux ressortissants du Commonwealth ayant au moins six mois de résidence.
- Irlande : Droit de vote depuis 1963 pour les locales. Il faut avoir cinq ans de résidence.
- France : En projet.
- Allemagne : En projet.
- Italie : Droit de vote pour les élections locales depuis 1998. Six mois de résidence.
- Danemark, Suède, Finlande : Droit de vote depuis 1981 (1975 en Suède). Condition : trois ans de résidence.
- Espagne, Portugal : Droit de vote accordé aux ressortissants des Etats qui accordent eux-mêmes le droit de vote aux Espagnols et aux Portugais.
- Autriche, Grèce : Pas de droit de vote.

4. Une contrepartie à un certain nombre de devoirs, dont celui de payer des impôts et de respecter la loi…

Tous les habitants sont concernés par les conditions de vie et de travail, la circulation, les équipements sociaux, etc. Pourquoi des étrangers résidant en Belgique, parfois nés en Belgique, parfois pas, mais qui paient des impots comme les Belges, sont soumis à la loi comme les Belges, souffrent de la même pollution, de la même petite délinquance, de la même insécurité routière que les Belges (et en souffrent parfois plus), pourquoi ces personnes seraient-elles exclues du mécanisme de décision qui s’impose à elles, comme à tous les habitants du même territoire ?

Est-ce cela, de la démocratie de proximité ?

5. Un facteur d’intégration supplémentaire, et son corollaire : un moyen de prévenir les replis identitaires…

Parce que l’exclusion génère l’esprit de ghetto et le repli sur soi. Et que le repli sur soi génère le racisme – dans tous les sens…

Parce qu’au contraire, la participation contribue à briser les barrières, enracine durablement dans la communauté, crée un sentiment d’appartenance, bref modifie la perception de « l’autre » – dans tous les sens…

6. Un moyen de lutter contre l’insécurité, et son corollaire : un moyen de couper partiellement le sifflet aux partis d’extrême-droite…

Bien sûr bien sûr, donner le droit de voter à tout le monde, ce n’est pas la recette magique contre tous les maux du pays mais quand même : en ces temps où la lutte contre l’insécurité est définie par tous comme la « priorité des priorités », idem pour la lutte contre les extrémismes de tous poils, on peut se demander pourquoi cette loi ne passe pas. Pourquoi ?

Que le MRAX se permette de poser la question, c’est sans doute malheureusement déjà suggérer un élément de réponse…

 

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