Quelques réflexions suite au buzz de l’homme des glaces de Nivelles

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Il y a quelques semaines, la presse a fait état d’une démarche du MRAX vis à vis d’un glacier Nivellois. Notre service juridique avait été informé du fait qu’une des glaces vendues dans son établissement était dénommée « Bamboula ». Nous avons fait savoir à ce monsieur qu’une telle appellation contrevient à divers principes contenus dans la Charte européenne des droits de l’homme, notre Constitution et certaines de nos législations nationales et l’expose donc à des poursuites judiciaires. Nous lui avons donc vivement recommandé de changer le nom de sa glace. Il a finalement annoncé sur son mur Facebook qu’il le ferait après avoir signalé à ses contacts qu’il avait « le MRAX sur le dos ». Ce dossier relatif à des préjugés racistes est un dossier parmi les autres traités au jour le jour par le MRAX. Il a cependant bénéficié d’une ample couverture médiatique.

L’information a été reprise par l’Avenir, la Dernière Heure, la RTBF et même par le quotidien israélien Haaretz ainsi que le blog de Jean-Marc Morandini. Nous avons eu même, dans un registre plus habituel, les « honneurs » d’un site français d’extrême-droite sous la plume de celui qui, semble-t-il, jusqu’à il y a peu était l’attaché parlementaire d’André-Pierre Pouget, député qui fait aujourd’hui l’appoint de la nouvelle majorité politique wallonne. Cette affaire a également suscité la réaction vive de nombreux quidams qui ne sont pas privés de nous interpeller voire de nous insulter sur nos boites mails et sur les réseaux sociaux. Certains nous ont reproché de négliger des priorités plus fondamentales (en se gardant généralement de préciser quelles seraient les priorités de l’antiracisme sur lesquelles ils aimeraient supposément nous voir travailler). D’autres ont essayé de nous expliquer sérieusement que « bamboula » ne serait pas un mot injurieux.

L’argument de la mauvaise priorisation ne tient pas la route dans la mesure où, comme nous l’avons évoqué, ce dossier est un parmi d’autres et donc le fait de s’en occuper n’empêche bien évidemment aucunement de s’occuper des autres et il est évident que l’importance des dossiers traités n’est pas fonction de leur médiatisation. Cela vaut peut-être davantage la peine de déconstruire l’argument suivant lequel le terme « Bamboula » ne serait pas raciste. Certains pseudos-étymologistes nous ont expliqué que Bamboula signifiait juste « tambour » ou « danse » et rien d’autre. Ce débat sur le terme « bamboula » fait écho à une polémique qu’a connue la France il y a plusieurs mois. Évoquant l’attitude des policiers qui ont insulté et agressé Théo L., un représentant syndical du personnel de la Police a voulu minimiser certains propos de ses collègues. « Ça ne doit pas se dire, mais ça reste à peu près convenable » a-t-il expliqué sur France 5. Dans un article fort intéressant de la revue « Jeune Afrique » et publié sur internet en date du 10 février 2017 et intitulé « Le bamboula : histoire d’une injure raciste ancrée dans l’imaginaire français », la linguiste Marie Treps apporte une réponse à ces relativistes de l’injure raciale. Elle explique que « Bamboula » viendrait effectivement des mots ka-mombulon  et  kam-bumbulu , qui signifient « tambour » dans les langues sara et bola parlées en Guinée portugaise. Cependant en 1714, en Côte d’Ivoire, le mot a pris le genre féminin, et désigne cette fois une « danse de nègres »… Dans le contexte de la traite négrière, ce sobriquet n’a toutefois déjà rien de sympathique. C’est avec l’arrivé des tirailleurs sénégalais sur le front  de la  « Grande guerre » que le terme acquiert toute sa charge xénophobe. D’après Marie Treps, le mot renvoie alors à « une imagerie alliant sauvagerie, cannibalisme, sexualité animale et rire, naïveté enfantine supposée des soldats noirs ». La linguiste poursuit son raisonnement limpide sur le caractère évolutif mais discriminatoire et raciste du terme Bamboula :

« Le terme a beaucoup été utilisé au moment des grandes expositions coloniales,… Il flatte le paternalisme du colon. Derrière le terme « bamboula », il y a l’idée que les Noirs sont des grands enfants qu’il faut civiliser. Et finalement, ce qui est commode à l’époque c’est que l’être humain disparaît derrière sa caricature. Ainsi, en 1914, ce ne sont pas des humains que l’on envoie au front se faire tuer, seulement des  bamboulas. On occulte la violence qui est faite à une population. »

Peu importe la teneur de certaines réactions suite au buzz de l’homme des glaces de Nivelles, nous maintenons qu’il n’est pas anodin que certains biens de consommation mis en vente véhiculent des clichés racistes. Il y a déjà une discrimination forte pour ce qui est de l’accès, à l’emploi, à l’enseignement au logement sur lesquels les décideurs politiques disent avoir beaucoup de mal à agir. Est-ce trop demander de ne pas rajouter l’insulte infamante dans un espace public au racisme structurel quotidien subi par certaines minorités ? Est-ce dérisoire d’aspirer à ce qu’un enfant qui doit endurer de voir les difficultés de ses parents discriminés ne soit renvoyé, dès qu’il veut prendre une glace, de manière humiliante à ses origines et aux préjugés qui leurs sont trop souvent associés ? Quelqu’un pense-t-il vraiment que demander à un commerçant de respecter les droits fondamentaux de ses clients constitue une perte de temps ? Les réponses à ces questions, nous ont semblé assez évidentes….

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