Quelle différence entre centre ouvert et fermé ?

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Dédé Mutombo Kazadi est demandeur d’asile et résident en centre ouvert. Il est aussi le porte parole du petit château, le représentant d’un mouvement. Depuis son arrivée en Belgique, il a toujours refusé de longer les murs, de rester dans l’ombre. Il a toujours affiché sa volonté de défendre ses droits et ceux de ses semblables. Déterminé et organisé, Dédé dérangeait…Il a été piégé et finalement arrêté le 14 septembre dernier. Rencontre avec Selma Ben Khalifa. Femme engagée et indignée. Avocate de Dédé.

Peux-tu rappeler qui est Dédé ?

Dédé Mutombo Kazadi est demandeur d’asile. Il a fui la République démocratique du Congo en raison des menaces qui pesaient sur lui du fait de son engagement politique. Il est pasteur et a cette faculté étonnante d’entraîner les gens derrière lui. Au petit château, il est devenu rapidement un porte parole auquel on se référait chaque fois qu’un problème se posait.

Et il y en a eu quelques uns au cours de l’été !…

Oui…Le 26 août dernier, il a organisé avec l’Union des sans papiers, une manifestation pour dénoncer le Protocole de Coopération entre Fédasil et l’Office des Etrangers (OE). Fédasil, sans participer « à l’exécution des missions des services de police » était cependant tenu de faciliter le « bon déroulement de l’intervention [1] » notamment en transmettant mensuellement à l’OE une liste de personnes résidant dans chaque centre d’accueil avec leurs coordonnées ainsi que « tout autre renseignement pertinent en vue de l’éventuel éloignement ».

Ta réaction face à l’application de ce protocole ?

Cette manière de faire est très choquante vu que Fédasil a comme mission l’accueil et non l’aide au expulsion. Cela a été également très mal pris par les résidents mais aussi par les assistantes sociales des centres ouverts. Leur mission a toujours été d’aider les gens et, du jour au lendemain, on leur demande de faire un boulot de flic. Les directeurs, eux-mêmes, désapprouvaient parfois cette procédure.

Lors de la manifestation du 26 août, Dédé a participé à la délégation qui a été reçue par l’OE et le cabinet du Ministre Dupont. Il a dialogué avec le délégué du ministre. A cette occasion, un fonctionnaire de l’OE, lui aurait dit à part, que s’il avait de nouveaux éléments de crainte, il pouvait introduire une nouvelle demande d’asile.

Pourquoi une nouvelle demande ?

Au niveau de la procédure, Dédé a fait une demande d’asile qui a été jugée irrecevable et il a un recours au Conseil d’Etat en cours. Tant que le Conseil d’Etat est en cours, il n’est théoriquement pas expulsable…

Théoriquement ?

Le recours au Conseil d’Etat n’est pas suspensif…, mais l’arrêt Conka, rendu par la Cour européenne des Droits de l’Homme a condamné l’Etat belge pour le non-respect du caractère suspensif du recours au Conseil d’Etat. Logiquement donc, l’expulsion ne peut avoir lieu. Le caractère non suspensif au Conseil d’Etat est une aberration. Si ce n’était pas le cas, comment pourrait-on expliquer le droit à une aide sociale aux personnes en recours ? Si elles ont droit à une aide, c’est qu’elles ont une existence reconnue sur le territoire belge et donc de ce fait, ne peuvent être expulsées !

Dédé a-t-il décidé d’introduire une nouvelle demande ?

Lors de la réunion avec le délégué de l’OE, Dédé lui aurait posé la question : « Si je me présente à l’OE, est-ce que vous allez m’arrêter ? » « Mais non » a dit le Monsieur. Il rentre donc une nouvelle demande d’asile sur base de nouveaux éléments. On lui dit alors : « Il faut revenir avec votre enfant ». Il s’étonne et répond qu’il n’est pas nécessaire d’entendre son bébé de 3 mois lors d’une audition. On le rassure alors en lui expliquant qu’il est nécessaire d’inscrire sa petite fille. Il revient donc avec un acte de naissance le lendemain. S’en suit un certain flou où, toujours d’après les dires de Dédé, un fonctionnaire aurait dit : « Mais enfin, il peut très bien inscrire le bébé avec l’acte de naissance ». Un autre lui aurait répondu : « Ecoute non, je connais ce dossier, il faut que le bébé vienne ». Il fait quand même son audition, mais reçoit une convocation pour venir chercher une décision dont le contenu n’est pas clair.

Il ne s’est pas méfié ?

Dédé était confiant. Il ne se doutait pas de la suite…On lui a demandé de revenir un jour dit au sujet de sa demande d’asile. Il était mentionné sur le document qu’il devait venir avec son bébé pour qu’on prenne une photo. Je me suis posée des questions, à ce moment, car sur les annexes 26 et 26 bis, les photos des enfants ne sont jamais reprises. C’est pour cette raison que j’ai envoyé une lettre recommandée à l’OE (datée du 9 septembre) où j’ai déclaré m’étonner de la nécessité de la présence du bébé. J’ai aussi ajouté que j’espérais qu’ils allaient prendre en compte l’état de la mère, qui était toujours en repos d’accouchement, dans toutes les décisions qu’ils allaient prendre. Ils n’ont jamais répondu à mon courrier. Le 14 septembre, Dédé et sa famille se sont présentés. Ils ont été arrêtés et emmenés au 127 bis.

Comment expliques-tu qu’il ait osé se rendre à ce rendez-vous ?

Mon opinion, c’est qu’en général lorsque des gens reçoivent une annexe 26 bis (la non recevabilité mais avec encore une ouverture vers le recours urgent qui est suspensif) , on ne les arrête pas. Cependant, s’il a quand même osé y aller, c’est aussi parce qu’il avait une accusation de réception d’un 9.3. (demande de régularisation de séjour). Il est bien mentionné dessus que « ceci n’est pas un document de séjour », mais si il y a un contrôle de la police et que la personne montre ce document, on la laisse partir. Tant qu’une réponse n’a pas été donnée à vos arguments, on ne vous donne pas un ordre de quitter le territoire.

Dédé a pourtant été arrêté…

Oui et au moment de son arrestation, il a montré son attestation de réception d’un 9.3. On lui a alors répondu : « il va nous falloir un quart d’heure pour te donner une réponse négative… ». Parole fut tenue…Un quart d’heure plus tard, il avait sa réponse négative. S’il faut un quart d’heure pour répondre, comment se fait il que des gens attendent parfois depuis deux ou trois ans. C’est vraiment quelqu’un qu’ils ont décidé de saquer. Moi, c’est comme ça que je le ressens. On sent dans cette histoire qu’il y a une dimension de représailles et d’intimidation et c’est ça qui est totalement inadmissible.

Y-a-t-il eu des réactions ?

Du côté de l’OE : aucune réaction. Du côté du parlement, des questions parlementaires ont été posées par deux députés (Marie Nagy et Mohammed Boukourna) à l’attention du vice-premier ministre et du ministre de l’intérieur à propos de cette arrestation [2]. Patrick Dewaele juge la situation tout à fait normale et légale [3].

Quel regard portes-tu sur cette arrestation ?

A mon niveau, j’estime qu’il y a deux « bizarreries » juridiques. La première est cette mention de la présence du bébé pour la photo. On comprend clairement que c’est pour capturer toute la famille d’un seul coup. Or, ce principe qui tend à abuser de la confiance d’un demandeur d’asile en vue de l’arrêter et de l’expulser avait été condamné dans l’affaire Conka [4]. Secundo, la loi prévoit que l’enfermement d’un demandeur d’asile est une mesure d’exception. En général, un ordre de quitter le territoire est remis. L’enfermement est la mesure d’exception qui doit être justifiée. La doctrine et la jurisprudence estiment que le ministre ou son délégué qui prend la décision doit expliquer en quoi il estime nécessaire de maintenir cette personne. Dans ce cas précis, l’enfermement ne se justifie absolument pas. Dédé et sa famille n’étaient pas perdus dans la nature. Ils se trouvaient au petit château. Ils n’étaient donc pas difficile à trouver. Pourquoi était-il nécessaire de les enfermer ?… à part pour les empêcher de manifester, mais ce motif n’est pas repris dans la loi. La motivation invoquée pour son enfermement est choquante. Elle repose sur le fait que Dédé a bien précisé lors de sa demande d’asile qu’il ne voulait pas rentrer au Congo car il avait des craintes. Mais c’est le cas de tous les demandeurs d’asile !! Si on prend comme principe qu’il est nécessaire d’enfermer un demandeur d’asile en vue de l’éloigner du territoire vu qu’il dit clairement dans sa demande qu’il ne rentrera pas volontairement, cela veut dire qu’on fait de l’exception la règle. Et donc se pose la question : est-ce que l’enfermement devient la règle ?

Quelle issue pour Dédé ?

Il a été interrogé par le CGRA sur sa deuxième demande d’asile le 20 septembre. Ils ont promis une réponse rapide. Le 26 septembre, on s’est rendu à la Chambre du Conseil pour la mise en garde.

Comment la situation est-elle vécue par les résidents du petit château ?

Très mal. Ils sont en conflit avec la directrice depuis qu’elle est arrivée. Je ne connais pas exactement sa biographie, mais il semble qu’elle ait travaillé avant en centre fermé. Elle a une tendance manifeste à vouloir appliquer les règles du centre fermé au centre ouvert. Donc fouille dans les chambres, extinction des feux…sont monnaies courantes. La situation est conflictuelle et tendue. Les centres ouverts ont pour mission l’accueil, qui ne peut se faire que dans un climat de confiance. Aujourd’hui, suite aux récents incidents, il est affligeant de constater qu’il existe de moins en moins de différences entre centre ouvert et fermé.

Et concernant le protocole d’accord entre Fédasil et l’OE, où en est-on ?

Le protocole est momentanément gelé afin d’être révisé. Je sais qu’il y a un rendez-vous prévu avec le Ministre Dupont pour savoir ce qu’ils vont décider. On est actuellement à une charnière. D’un côté on accueille les réfugiés et de l’autre, on veut absolument une fermeture hermétique des frontières. D’un côté, on veut expulser et de l’autre, respecter les droits de l’Homme. Des contradictions qui ne sont pas évidentes à résoudre… D’après moi, mais là, ce n’est plus du juridique mais du politique, il faudrait réfléchir à nouveau à cette question de fermeture hermétique des frontières.

Ce n’est pas possible de continuer comme ça. Cela crée de la violence. Pour expulser quelqu’un, il faut régulièrement utiliser la force. Prenons le rapport Vermeersch sur les expulsions forcées, demandé par le gouvernement. Un chapitre explique point par point en quelle mesure il est possible d’utiliser la force envers une femme enceinte (jusqu’à quel mois, etc.). A la lecture d’un tel texte, on peut se demander où on va ? On nage dans l’absurde. Cette fermeture hermétique des frontières crée des violations des droits de l’Homme. Il faut réfléchir à une autre formule, à une autre réflexion sur l’immigration.

Le gouvernement ne donne pas l’impression d’être prêt à cela…

En effet…. La crainte de l’extrême droite fait réagir partis et personnalités politiques comme l’extrême droite. « Faisons comme eux, pour ne pas leur laisser des voix ! ». Je suis persuadée que c’est une grosse erreur. Les gens préfèrent l’original à la copie. Si sur les 70 points du Vlaams Blok, on en copie 69, comment va t-on alors convaincre les gens que c’est inadmissible de voter pour eux ?

Après 12 jours d’enfermement et de protestation, Dédé Mutombo Kazadi a finalement été libéré par la chambre du conseil qui a décidé que  » les motivations invoquées par l’Office des Etrangers pour justifier la mesure de privation de liberté sont insuffisantes et inadéquates » et que « la mesure prise par l’administration est manifestement disproportionnée par rapport au but poursuivi ». La décision de remise en liberté a été prise le lundi 26 mars. Le même jour, le CGRA rendait une décision de recevabilité de la demande d’asile. Aujourd’hui, Dédé a sa carte orange. Il est encore actuellement au Petit Château, mais est à la recherche d’un appartement

[1] Extrait du « protocole de coopération entre Fédasil et l’Office des étrangers » concernant « la procédure relative à la mise en œuvre des mesures d’éloignement du territoire belge des personnes ne disposant plus de titre de séjour valable mais bénéficiant toujours de l’aide sociale dans les centres d’accueil ». Principe 3.

[2] Chambre-3e session de la 51e législature 2004-2005 Commission de l’intérieur 21/09/2005. Question posée au vice-premier ministre et au ministre de l’intérieur.

[3] Aux questions posées par M.Nagy et M.Boukourna, P.Dewaele a répondu : « Il n’y a pas eu opération planifiée d’éloignement. Concernant l’éloignement forcé, l’Office des étrangers a uniquement appliqué la loi ».

[4] Arrêt Conka c. Belgique (req. n° 51564/99) du 5 février 2002 rendu par la Cour européenne des Droits de l’Homme.

 

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