Pourquoi le décès de Mawda est un crime d’État raciste

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Commençons par résumer les faits.

Mawda – deux ans – est morte d’une balle dans la joue.

La petite fille était avec ses parents et son frère de 4 ans dans une camionnette qui devait les amener de Grande-Synthe (France) vers l’Angleterre. Le véhicule a été pris en chasse par la police belge sur l’autoroute entre Namur et Mons. La course poursuite a continué sur 70 km et s’est terminée lorsqu’un policier a tiré sur la camionnette.

Le véhicule s’est immobilisé. Les trente passagers entassés à l’arrière sont descendus. Le père de Mawda a pris l’enfant ensanglantée des bras de la mère. Il a demandé une ambulance. Les policiers qui intervenaient ont braqué leurs armes.

« Don’t move or we shoot you. »

Le corps de Mawda a été déposé par terre. Un policier a tenté de la réanimer. L’ambulance est arrivée vingt minutes plus tard. Pendant cette interminable attente, les policiers braquaient toujours leurs armes sur les parents et sur les autres passagers. La mère a supplié pour pouvoir rester auprès de sa fille et monter ensuite dans l’ambulance pour l’accompagner. La police le lui a interdit.

La petite Mawda est morte dans l’ambulance, seule, sans sa maman.

Entretemps sa maman et son papa avaient été mis en détention avec son frère de 4 ans.

Voilà les faits[1].

Criminaliser et Eradiquer

Jan Jambon et Théo Francken déclarent qu’ils font la chasse aux passeurs alors qu’en réalité, il s’agit d’une chasse aux migrants qui ne dit pas son nom.

Mawda a été tuée parce qu’elle est une enfant migrante et pour aucune autre raison. Le policier qui a tiré ne voulait vraisemblablement pas tuer une enfant. Cependant, il a tiré sur une camionnette remplie de migrants en connaissance de cause.

Arrêter le véhicule lui a semblé plus important que de préserver la sécurité des personnes à son bord, plus loin, mettre en danger les personnes à son bord lui a semblé légitime au regard de sa volonté d’arrêter le véhicule.

Le déroulement de la suite montre clairement que la famille de Mawda n’a pas été traitée comme nous traitons des victimes en Belgique. Ils ont été traités avant tout comme des « migrants » qu’il fallait arrêter à tout prix.

Ces personnes, ces familles, ont été braquées, menottées, détenues en cellule. Durant les heures qui ont suivi le drame, les parents de Mawda et son frère de 4 ans n’ont pas été vus comme une famille qui venait de perdre un enfant, mais comme des criminels.

Cela illustre la théorisation raciste sur le corps des migrants. Les policiers ne savent – ou ne veulent – plus différencier migrants et criminels. Ils sont tous des « illégaux criminels » pour reprendre la sémantique de Théo Francken.

Une semaine avant les faits, Jan Jambon, ministre de l’Intérieur, avait déclaré :

« ‘Politieacties tegen transmigranten gaan door tot netwerken uitgeroeid zijn »[2]

« Les actions policières contre les transmigrants vont continuer jusqu’à ce que les filières soient éradiquées »

L’utilisation de termes comme « éradiquer » n’est pas anodine. Elle est au contraire révélatrice d’une déshumanisation absolue. Les « filières » sont composées de personnes de chair et de sang. Nous n’éradiquons pas les gens, pas même les criminels. Nous les arrêtons, les jugeons, les emprisonnons s’ils sont coupables. Mais nous ne pouvons pas les éradiquer.

Lorsqu’un ministre de l’intérieur, qui dirige la police, utilise un tel langage, il donne de manière implicite mais certaine le permis de tirer à ses policiers.

Sa réaction après le décès est également révélatrice.

Sans même présenter des condoléances ou des regrets,  Olivier Van Raemdonck, porte-parole de Jan Jambon, a déclaré :

« Ne retournons pas la logique. C’est le résultat du trafic d’êtres humains.

Le ministère public et le comité P doivent enquêter sur ce point, mais rien n’indique pour l’instant que la police ait commis d’importantes erreurs. Nous n’étions pas là, mais il n’y a aucune raison de douter de nos agents pour le moment.

Les règles sont simples. La police peut ouvrir le feu si les gens sont à risque. C’est tout-à-fait le cas quand une camionnette tente de fuir la police et joue ainsi avec la vie de ses passagers. »[3]

C’est Jan Jambon qui inverse la logique. La mort de Mawda n’est pas la conséquence d’un « trafic d’êtres humains », elle a été tuée d’une balle tirée par un policier. Personne dans le véhicule n’était armé. Par contre, nous pouvons affirmer que l’enrichissement en faisant passer des frontières n’est rendu possible que par la politique de fermeture des frontières à des catégories de migrants, politique migratoire menée par le Secrétaire d’État Théo Francken, dont Jan Jambon est responsable. Ce n’est que par cette seule politique que des familles et des enfants deviennent des catégories « à risque » sur lesquelles la police peut ouvrir le feu. Mawda était donc « à risque ». Jan Jambon a justifié le tir qui a tué Mawda.

Enfin parler d’ « erreurs » alors qu’il s’agit d’un homicide est une minimalisation des faits insupportable mais est cohérente avec leur discours sur les migrants.

Racisme d’État

Mawda a-t-elle été tuée pour sa couleur de peau ? Assurément non.

Le motif du policier est-il islamophobe ? Non plus.

Le policier qui a tiré n’a – sans doute- pas voulu tuer une enfant.

Par contre, tout le récit des faits démontre incontestablement que Mawda et sa famille ont été traités différemment en raison de leur origine. Lorsque l’État crée une catégorie de la population dépourvue de droits, c’est du racisme.

La politique migratoire menée depuis des années en Belgique et en Europe est raciste. L’arrivée au pouvoir de la NVA a accéléré le processus de déshumanisation. Souvenez-vous du « opkuizen » de Théo Francken[4]. La libération de la parole raciste ne pouvait mener qu’à de tels drames.

Le mépris affiché par Jan Jambon et Bart De Wever à la mort de Mawda est un palier supplémentaire dans l’escalade raciste du Gouvernement.

Gregg Barak définit les crimes d’État comme « ces infractions, négligées ou minimisées, définies comme des crimes par l’État; commises par des organismes gouvernementaux ou entraînées par des politiques publiques ; dont les cibles subissent des préjudices sociaux, politiques et économiques, la discrimination raciale, sexuelle et culturelle ainsi que l’abus du pouvoir politique et/ou économique »[5].

Mawda nous montre à quelle étape nous sommes arrivés et nous met face à nos responsabilités. Sa mort est un crime d’État. Un crime de la politique migratoire raciste.

Vincent Cornil

Directeur du MRAX

 

[1] Conférence de presse des avocats et des parents de Mawda, 21 mai 2018

[2] Knack, 13.05.2018, Jambon: ‘Politieacties tegen transmigranten gaan door tot netwerken uitgeroeid zijn’

[3] RTBF, 19 mai 2018, Décès de Mawda: « Conséquence du trafic d’êtres humains », selon le cabinet Jambon

[4] RTBF, 14.09.2017, Emoi sur Facebook: Theo Francken parle de « #nettoyer » le parc Maximilien

[5] BARAK, G., Crimes by the Capitalist State: An Introduction to State Criminality, SUNY Press, 1991

 

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