“Il n’y a pas qu’une seule discrimination” – Portrait de Kawtar

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Jeune femme féministe d’origine marocaine, musulmane et pratiquante, Kawtar nous raconte comment des profs, des écoles l’ont découragée à poursuivre ses études sur base de propos racistes, sexistes et islamophobes. Mais jamais, elle a abandonné. Aujourd’hui, elle termine ses études de psychologie à l’ULB et encourage toutes les personnes à poursuivre leurs rêves.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Kawtar Omary, j’ai 28 ans et je suis étudiante en dernière année de master 2 en psychologie clinique et je vis à Bruxelles depuis à peu près 4 ans. 

Comment vous définissez-vous ? Quelle est votre identité ? 

Je me définis comme étant une femme féministe qui est d’origine marocaine, arabe, musulmane et pratiquante. 

Comment pensez-vous être définie par les autres ?

Les gens me voient comme l’arabe, la radicale, des fois on me surnomme  » Daech », mais surtout comme quelqu’un qui fait peur et ça c’est vraiment dévastateur en fait, c’est horrible. 

C’est horrible parce que c’est quelque chose qu’on vit au quotidien, on le vit déjà dans la rue, au sein de plusieurs établissements notamment l’école, qui normalement devrait être le lieu où il est possible de débattre de manière respectueuse et malheureusement ce n’est pas le cas. 

Il y a des professeurs qui m’ont dit mais à quoi bon faire des études si de toute façon à vos 18 ans vous allez être mariée, vous occuper de vos enfants et de votre mari .’‘ 

On nous traite d’incapables, et des fois on essaye de forcer la chose en se disant  »non moi c’est ce que je veux, je veux étudier’’. De plus, on est entouré de misère, on vit dans des quartiers populaires, on voit qu’il y a de la drogue, des quartiers insalubres, il y a tout une population qui est délaissée et qui n’est même pas considérée comme faisant partie intégrante de la population belge en fait. 

Le problème c’est que je dois me donner à 200 % parce que je suis une femme arabe musulmane voilée.

On se dit : “mais on est des citoyens belges”, j’ai une carte d’identité belge, ce qui fait que je dois jouir des mêmes droits que tout le monde mais malgré ça on ne m’accepte pas. Donc on doit se battre mais c’est fatiguant, c’est vraiment fatiguant. 

Quel est le 1er souvenir de discrimination dont vous pouvez vous en rappeler ?

Ce souvenir douloureux remonte à l’école en 5ème secondaire. J’étais dans une classe avec une majorité d’élèves d’origine étrangère et il y avait une élève blanche. À la remise des bulletins, on pouvait consulter nos copies d’ examens et j’ai réalisé que cette élève blanche avait raté un examen mais les profs l’avaient laissé passer. Et les profs faisaient tout pour que personne ne voit sa copie, ils la prenaient à part et lui disaient “bouge , il ne faut pas qu’on voit ta copie”. Je me suis très vite rendue compte qu’un élève arabe avait eu 49/100 (la note pour réussir étant 50) et les profs et l’ont fait  »chier » pour son 49 alors que la fille en question avait eu 46, mais ils l’ont quand même fait passer.

Vous faites face à des professeurs qui vous dénigrent, qui vous disent que vous n’avez pas en fait votre place à l’école, et qui vont  souvent vous refuser carrément l’accès à l’enseignement en disant  »ce n’est pas votre place ici, il faut retourner là-bas où vous êtes », c’est vraiment comme si on était invisible. 

Il y a eu aussi beaucoup de discriminations faites par la police, avec les contrôles au faciès. J’en ai vécu un récemment quand j’étais à Paris. J’étais à la gare prête à monter dans le train et je sens quelqu’un qui me tire par l’arrière. Je me tourne, j’avais mes écouteurs,  »madame madame, contrôle, contrôle » me dit-elle, je lui répond  »contrôle pourquoi ? », elle me répond :  » contrôle de routine ». Pourquoi ? il n’y a personne qui se fait contrôler si ce n’est que moi, et c’est vraiment d’une humiliation sans nom en fait, les gens ils vous touchent et  »qu’est-ce que vous avez dans votre sac, qu’est-ce que vous venez faire ici ».  » Je suis venu suivre un séminaire de psychanalyse » je lui réponds, et là elle s’exclame,  » Ah ! ».  »Beuh oui, je suis venu ce matin, je reste à Paris pour 5h, je repars là toute suite », encore une minute de plus et j’allais rater mon train. Et il y a tout le monde qui regarde, tout le monde qui ne fait rien. Et c’est ça en fait, les gens regardent mais ils ne réagissent même pas et encore le plus méprisant dans tout ça c’est que quand je suis entrée après dans le train, les gens me dévisageaient, et ça c’était insupportable. 

Et du coup ils ont cherché mais ils avaient rien, mais ils étaient vraiment dans une peur, une réticence,  »donnez moi votre sac, il y a quoi dans votre sac ? » je dis  »il y a rien, il y a un livre », et puis ils disent  »et dans votre poche », et donc ils commencent à me palper et ils se rendent bien compte qu’il n’y a rien, puis dans ma poche à un moment donné ils touchent, il voient qu’il y a un truc et  »qu’est-ce que c’est ?’‘ dit la dame en paniquant , et je sors le contenu de ma poche, c’était un snickers, et je lui dit,  »vous voulez un snickers? »

Avez-vous déjà eu un épisode de discriminations multiples qui vous a marqué ? 

J’ai travaillé pendant un moment dans des milieux où majoritairement il y a beaucoup d’hommes, j’ai travaillé comme steward dans des magasins, c’est un milieu où il y a des agents hommes. Déjà premièrement vous êtes une femme, les clients vous parlent comme si vous étiez de la  »merde »; et j’ai eu beaucoup de remarques racistes là-bas. 

Mais surtout qu’ils se lâchent parce que vous êtes une femme et de ce fait, ils pensent que vous n’allez pas répondre. Ils disent du genre, ‘‘ouais t’as rien à faire ici, depuis quand je vais recevoir des ordres d’une arabe ?  », et c’est toujours comme ça, surtout qu’on fait le même travail que les autres. Des fois on le fait même mieux que les hommes. 

Moi quand je m’engage dans un travail je me donnes à 200 % et le problème c’est que je dois me donner à 200 % parce que je suis une femme arabe musulmane voilée. Il faut tout le temps prouver à l’autre qu’on est capable, qu’on existe et qu’essayer de nous accepter tel qu’on est et vous verrez le résultat (positif).  »On ne va pas vous poser des bombes, on ne va pas vous parler en arabe, on va pas vous donner du couscous à bouffer tous les jours hein ! ». On est là, on effectue notre travail parce qu’on veut faire partie intégrante de cette société et parce qu’on veut avoir la tête haute et être digne. C’est quoi la différence entre quelqu’un qui fait éboueur et quelqu’un qui travaille au ministère. Il n’y en a pas, ils travaillent tous les deux pour gagner leur pain, il n’y a pas un travail qui est bon, il n’y a pas un travail qui est mauvais. 

Que pouvez-vous dire aux personnes qui se trouvent de l’autre côté de la clôture ? 

Laissez-nous vivre. Considérez-nous comme des êtres humains, parce que c’est ce que nous sommes. Et vous êtes en train de briser des rêves. Parce que quand on fait des études on n’est même plus dans la capacité de se dire  »j’aimerais trop faire ça », on ne fait même plus les choses par passion, on fait des études où on se dit  »je pourrais peut-être trouver du travail ». Ce qui fait qu’on s’oriente toujours vers la même chose, parce qu’on se dit qu’il n’y a que ça. Et c’est briser des rêves, c’est briser des désirs, c’est horrible, parce qu’à chaque fois on fait le pas d’aller vers l’autre, l’autre vous claque la porte. 

Lorsque je menais le combat à la Haute école à Liège (ndlr: pour autoriser le port du voile à l’école), il y a un professeur de déontologie qui m’a dit : ‘tu sais qu’en portant ton voile après les attentats ça montre clairement dans quel camps tu es ? ‘’

Et ça va même plus loin, parce que cette année là où je menais ce combat, c’était l’année où je devais rendre mon TFE, aucun professeur ne voulait travailler avec moi. Je n’avais pas de promoteur attitré et à la fin on m’a envoyé un promoteur comme ça qui était absent en fait. Je l’ai vu je pense 2 fois l’année alors que les autres avait un promoteur et moi j’avais pas de promoteur parce qu’il me tenait coupable d’avoir mené ce combat, alors que c’est un combat vers la liberté, et vous vous nous opprimez en faisant ça, et vous vous rendez pas compte que vous êtes en train de briser des rêves et qu’en fait tout ce qu’on veut nous c’est lire, étudier, on veut découvrir un ailleurs plus vivable que cette misère là en fait. Et il y en a qui vont jusqu’au bout, et il y en a qui abandonnent et ceux qui abandonnent je les comprends aussi parce que vraiment c’est un combat qui est fatiguant, très usant. 

Battez-vous pour vos rêves, et battez-vous pour vos désirs, et ne laissez personne vous dire quelle est votre place et ce que vous devez faire.

Que voulez-vous dire aux personnes qui vivent dans la même situation que vous ? 

Battez-vous pour vos rêves, et battez-vous pour vos désirs, et ne laissez personne vous dire quelle est votre place et ce que vous devez faire.

Continuez, ça va être très dur, et on est très loin d’être sorti de l’auberge mais il faut continuer à se battre, il faut tout donner pour cela, parce que sinon c’est la mort assurée en fait. Ils veulent combattre le chômage, mais ils ne font qu’augmenter ce nombre de chômage parce qu’ils ne laissent pas les gens travailler, parce que c’est un peu un double discours hypocrite en fait. Donc il faut continuer à se battre, il ne faut pas lâcher. 

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