Portrait d’une valeur ajoutée – Yassine

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Tout a commencé au Parc Maximilien. Août 2015, les citoyens belges se mobilisent pour soutenir et aider les migrants et leurs familles installés dans des tentes au cœur de Bruxelles. Parmi eux, Yassine, 33 ans, est né et a grandi à Molenbeek. Avec des amis et cousins, il prête mains fortes aux bénévoles sur place. Les stocks, les fournitures, la cuisine, le transport de marchandises,… Yassine consacre tout son mois de septembre, nuit et jour, aux réfugiés. Le campement est finalement démantelé mais pour Yasssine, l’aventure ne s’arrête pas là.

Avec d’autres bénévoles, il décide de partir pour Calais et y transporter le reste des fournitures  stockées au Parc Maximilien. Sur place, c’est le choc. Ils ne s’attendaient pas à ça : des milliers de personnes, hommes, femmes et enfants, parquées dans des tentes de fortune fixées dans la boue.

« On ne s’imagine pas que ce genre de camps existe en Europe »

Au début, Yassine, Ayoub, Ilyacine, Brahim et Ilyasse, font des aller-retour Bruxelles-Calais. Ils disposent d’une tente et d’une gazinière sur le campement. Avec les denrées qu’ils ramènent de Bruxelles et l’aide des bénévoles, ils distribuent 50 à 100 repas par jour. Mais très vite, la bande de cousins décide de rester sur place avec les réfugiés. Ils construisent une plus grande cuisine pour assurer une plus grande distribution de repas. La Belgium Kitchen est née. Ce sont les réfugiés qui y cuisinent. Les équipes de cuistots se succèdent dans la Kitchen qui doit composer avec les départs des migrants et l’arrivée des nouveaux. 1000 repas sont distribués chaque jour.

Yassine et ses cousins viennent du même quartier à Bruxelles. Ils ont quitté le confort pour vivre une réalité que trop peu aperçoivent à travers les yeux des médias et des politiques. Lorsqu’ on les interroge sur leur quotidien, ils nous racontent les rencontres, l’entraide, la solidarité. C’est bien simple, certains bénévoles viennent pour 4 jours et repartent après 4 mois. Ils trouvent ici ce qu’ils ont perdu dans leur routine : la simplicité des contacts humains.

« J’ai appris plus à Calais en 7 mois qu’en Belgique en 10 ans. Ils ont tout quitté et se sont retrouvés sans rien. Et pourtant, ils vous sourient et vous invitent à boire un thé sous leur tente tout en vous racontant les morts qu’ils ont laissé derrière eux lors de la traversée»

Vivre à Calais, ce n’est pas seulement cuisiner pour les migrants. C’est aussi discuter, écouter, accompagner, rassurer. Avec les autres groupes de bénévoles du Royaume-Unis et de France, Yassine tente d’améliorer le quotidien des migrants. Il nous dit côtoyer des personnes qui ne lui auraient surement jamais adressé la parole à Bruxelles.

« – Et vous avez fui quel pays, vous ? – Aucun, je suis belge, bénévole et responsable de la Belgium Kitchen Madame »

Le confort ? Ils n’en parlent même pas. Se plaindre d’une situation qu’ils ont choisi, c’est rabaisser ceux qui la subissent.  Car Calais, c’est aussi la violence d’une politique migratoire. C’est la souffrance d’hommes, de femmes et d’enfants qui survivent chaque jour. C’est un système de rejet et d’humiliation. Coincés dans ce no man’s land, ils espèrent avancer, traverser. Mais ils sont encerclés par les préjugés qui voudraient les voir repartir d’où ils viennent. Alors les tentatives se font la nuit, dans la souffrance et le mépris. Yassine nous raconte :

« Une nuit, un réfugié soudanais toque à notre tente. La main ensanglantée et en pleurs. Il a essayé de fuir mais s’est retrouvé accroché aux murs de barbelés qui longent les routes de Calais. Alors qu’il tentait de s’extirper des fils de fer, cinq policiers  assistaient à la scène et s’esclaffaient. »

Et puis il y a aussi l’histoire de ce jeune Afghan de 7 ans, Ahmed, dont le courage force l’admiration et le respect. Avec son grand frère, ils réussissent à se faufiler dans un camion pour Londres. A l’arrivée, ils réalisent qu’ils sont aux Pays-Bas. Ils font le chemin inverse à pied jusqu’à Calais. Retour à la case départ. Ahmed passe ses journées sur le camp à jouer avec les autres réfugiés du même âge. C’est le cadet qui rassure l’ainé. Ce dernier avait l’habitude de cacher un téléphone portable dans la chaussure de son petit frère au cas où… Ahmed s’en servira lorsqu’en route pour Londres avec  17 autres réfugiés dans un camion, il manque d’oxygène et appelle à l’aide. Son geste le sauvera ainsi que les autres migrants.

Plongé dans le parcours de vie de ces individus, Yassine réalise les sacrifices de ses parents qui eux aussi ont connu l’exil et le déracinement. Avec les autres bénévoles, ils ne sont pas prêts de rentrer à Bruxelles. Et lorsqu’on on leur demande ce qu’ils comptent faire si l’Etat décide de démanteler le camp, ils répondent :

« On continuera notre travail ailleurs. Qui sait ? Peut-être en Grèce… »

*Interview de Yassine réalisé le 3 juin au MRAX à Bruxelles. 

 

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