« PAR NOUS, POUR NOUS ! »

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Lettre ouverte aux citoyen.ne.s, aux élu.e.s et aux sans papiers de Belgique à propos de l’ingérence de certains soutiens et des conséquences violentes sur nos vies.

Présentement, Nous, collectif de la Voix des Sans Papiers de Bruxelles (VSP Bxl) existons depuis 2014, grâce à l’implication des sans papiers elleux-mêmes. D’occupations en occupations, d’expulsions en déménagements, nous nous organisons malgré tout, pour survivre en termes de logement, de nourriture, d’accès aux soins et surtout d’accompagnement juridique et de participation à la lutte de tou.te.s les sans papiers en Belgique et en Europe. La Voix des Sans Papiers de Bruxelles est représentée au sein de la Coordination des Sans Papiers de Belgique, organe représentatif de plusieurs collectifs de sans papiers en Belgique, lequel exerce depuis des années une volonté politique de rencontres avec les dirigeant.e.s, de presque tous les partis, à des niveaux de compétences différents.

La base politique et stratégique de ce collectif a déjà permis des alliances ponctuelles avec des élu.e.s dans des communes, que ce soit l’appui d’un.e bourgmestre pour une réquisition de bâtiment, que la prise en charge de frais d’énergie, d’interpellations de conseils communaux (partis de gauche ou de droite « traditionnelles » confondus). Vsp Bxl a obtenu le soutien d’associations et organisations, qu’elles soient très institutionnelles, militantes, syndicales, citoyennes.

Pratiquement : Pour que ce collectif d’une centaine de personnes venant de parcours d’exils hétéroclites, de communautés et pays épars, puisse fonctionner, une organisation précise et foncière est obligatoire : un règlement d’ordre intérieur, une logistique pragmatique et économique, une gestion sanitaire des lieux, une répartition équitable des dons, un soin porté aux liens avec le voisinage (voisinage souvent réfractaire aux occupations, qu’elles soient de sans papiers/personnes racialisées ou de « jeunes »…), une participation aux actions locales, à la vie associative du quartier, de la commune, un accompagnement de la scolarité des enfants, une mise à l’abri des personnes les plus démunies et fragilisées (femmes sans papiers, personnes âgées sans papiers, jeunes gens déboutés de leur droits de minorité, … ), tous ces éléments sont régulièrement discutés en interne du collectif, aménagés selon les bouleversements que ce collectif traverse (15 expulsions en 4 ans, pour ne nommer que les déplacements de résidence, sans trop évoquer ici les difficultés d’accès aux soins de santé, de la scolarisation des enfants, des exploitations par des patrons peu scrupuleux, …).

C’est aussi un langage politique que nous, les sans papiers organisés en collectifs, pratiquons par nécessité et volonté.

NOUS organiser passe par nous-mêmes et POUR nous-mêmes.

Des soutiens ont participé et participent à la lutte auprès des sans papiers. Nous avons construit en 6 années, des liens étroits avec des personnes et organisations basés sur une confiance plus ou moins réciproque (rien n’est figé), de sorte que nos décisions sont au mieux suivies, au moins respectées. Cependant, dans une période où les citoyen.ne.s doivent se substituer aux institutions officielles pour organiser les solidarités (hébergement de « migrant.e.s »*), chacun.e y va de sa contribution et l’enfer est pavé de bonnes intentions. Le confinement (ou une posture récurrente) a autorisé des personnes dites « soutiens » de proférer des injonctions aux collectifs de sans papiers, spécifiquement le nôtre, puisque nous occupons un bâtiment de grande taille à Ixelles. Lors de son occupation par Fédasil, il semblerait que ce bâtiment, dans son entièreté, abritait près de 300 personnes. Nos conditions d’occupation sont précaires et conditionnelles suite à des arrangements posés avec la commune et le juge de paix et le niveau fédéral (bâtiment sous leur autorité). Des négociations sont encore en cours et aucune pérennité n’est posée entre les parties. De fait même, nous avons dû, à notre arrivée dans ce bâtiment en octobre 2019, scinder le groupe initial de 100 personnes avec un autre bâtiment à Molenbeek que nous espérions quitter. Cette scission s’est effectuée afin de respecter les mesures de « sécurité » imposées par la Commune d’Ixelles et les autorités sanitaires, fragilisant ainsi la cohésion du collectif. Seule une partie du bâtiment occupé à Ixelles est mise à disposition du collectif, avec des conditions strictes et une autre partie est interdite au logement. Nous nous sommes donc pliés à cette situation injuste de ne pouvoir occuper qu’une partie du bâtiment et de ne pas pouvoir faire bénéficier à d’autres personnes, y compris des membres de notre propre groupe, des chambres qui sont bien plus « confortables » que la rue ou le samu social (quand y a de la place) ou des chambres en sous sol payées cinq fois le prix « logique » ou des hébergements « solidaires » provisoires. Ces conditions sont respectées à la lettre par l’intermédiaire d’une équipe de responsables organisée en comité de gestion. Ce comité régule par ailleurs de nombreux autres points, qui vont de soucis personnels de santé, d’accès aux droits sociaux à des problématiques inhérentes à la « vie » de sans papiers, en collectif de surcroît.

Personne ne doit, ne devrait contester une telle organisation, NOTRE organisation. Des appuis logistiques et politiques peuvent nourrir notre organisation collective, dans une relation de confiance et de liens dans la durée et dans l’action. Ces injonctions créent des mécanismes qui retirent les déterminismes de notre groupe organisé (même si l’organisation peut paraître, de l’extérieur, contre productive ou différente de pratiques connues ou fantasmées) et qui instaurent des conflits.

Personne ne peut nous ordonner de gérer la nourriture et sa distribution à notre place, d’imposer des personnes « à la rue » dans notre collectif, de j(a)uger les membres de notre collectif sur des pratiques confessionnelles, alimentaires, sociales, économiques, ethniques, de tenter de reconfigurer nos méthodes d’organisation, de langage politique et modalités d’actions.

Une des conséquences graves sur notre collectif :

Dans la nuit du 27 mai 2020, une intervention d’une centaine de policiers a eu lieu à notre occupation d’Ixelles. Elle s’inscrit, selon nous, dans une trop longue série de violences et de tentatives d’intimidations à l’encontre de personnes sans papiers, racialisées. Nous sommes régulièrement criminalisé.e.s, tant par des personnalités politiques, des médias que par certain.e.s citoyen.ne.s qui croient aux récits de ces sources sans les vérifier, sans les critiquer, sans les vivre, sans nous rencontrer, voire même en les amplifiant « grâce » à un contexte social et politique qui a besoin de bouc émissaires.

Ce récit adopte notre regard, en assumant nos responsabilités dans cette affaire.

Mercredi soir, une personne est rentrée dans le bâtiment d’Ixelles sans autorisation du groupe, sur base de « place » dans le bâtiment et du récit d’une personne extérieure qui a estimé que ce groupe ne peut pas « bénéficier d’un logement sans considérer d’autres pairs, des « frères ».

Mercredi soir, cette personne a tenté de rester par la force, considérant (légitimé par le récit de cette personne extérieure) que la chambre qu’il a ouvert par effraction est sienne.

Mercredi soir, suite au refus de cette personne d’obtempérer et de ses insultes et accusations, nous avons décidé de sortir cette personne physiquement. Par le passé, nous avons tenté d’appeler la police pour des cas similaires et le traitement dégradant que notre collectif avait vécu ne nous permet pas de les considérer comme alliés.

Mercredi soir, la porte d’accès au bâtiment a été fermée fermement devant cette personne. Cette personne s’est retrouvée au sol, devant la porte, sans accès possible.

Cette personne est allée voir la police communale d’Ixelles, juste à côté de l’occupation.

Jeudi soir, elle est à nouveau rentrée sans autorisation.

De cette démarche, une série d’évènements s’est engendrée. Mercredi, vers 23h, une présence policière d’abord « modeste », dont les représentants n’ont pas tenté de comprendre la situation. Comme souvent, la méconnaissance et l’éventuelle mauvaise foi (sic !) des forces de l’ordre face aux squats, aux occupations de sans papiers, aux sans papiers et aux personnes noires et arabes en général augmentent le risque de violence.

Devant notre refus de laisser entrer la police pour désigner des coupables suite aux accusations du plaignant, du renfort a été appelé.

Plus d’une centaine de policiers armés, des voitures, des combis sont arrivés. En présence surnuméraire (police communale / brigade d’intervention et police judiciaire), les forces de l’ordre vont imposer manu militari aux occupant.e.s de rentrer dans le bâtiment en tentant par ailleurs de pénétrer, ce qui sera refusé par les responsables du collectif. En parallèle, des habitant.e.s du complexe socio-culturel SeeU situé en face de l’occupation, sont sortis en solidarité avec VSP Bxl. Iels ont été forcé.e.s de retourner dans les prémices de SeeU avec contrôle d’identité. Le quartier fut bouclé, faisant monter une pression sur le collectif.

Vers 1h du matin, un représentant de la police d’Ixelles s’est montré un peu plus coopérant, entamant entamé un dialogue serré avec deux responsables du collectif, nous mettant cependant dans une obligation de dénoncer une troisième personne pour correspondre à la plainte de la personne expulsée, à savoir que « 3 gars l’avaient jeté dehors et molesté ». Il a été admis que le premier policier (celui qui a appelé les renforts) rentrerait pour trouver une troisième personne qui correspondrait au profil énoncé par le plaignant, « un noir avec un T-shirt rouge ». Un occupant a été désigné, cependant il n’était pas dans cet espace dans le bâtiment au moment des faits. Alors il a été accusé d’avoir «changé de T-shirt », cet occupant a avisé qu’il avait ajouté un pull du fait de la fraîcheur de la nuit. Le policier a alors déconsidéré sa parole.

Ceci est un des exemples de la constante mise en défaut de notre parole, d’une pressante volonté d’intimidation retirant encore une fois la légitimité de parole et d’organisation des occupant.e.s. Une des doyennes de l’occupation, déjà affaiblie par des conditions de vie plus que difficiles a, par ailleurs, fait un malaise durant l’intervention de la police.

Résultat :

-Une plainte contre deux des responsables sans papiers pour « coups de blessures », mettant à mal la sécurité déjà plus que précaire de ces deux porte-paroles qui se sont désignés comme tels, de par leur position dans l’organisation. Ces deux porte-paroles risquent une perte de liberté et une réduction de leur chance d’obtenir des papiers dans leurs éventuelles procédures de régularisation.

-Une fragilisation supplémentaire des liens avec le voisinage.

-Une intervention policière disproportionnée.

-Un stress individuel et collectif vécu par le collectif

-Une énième criminalisation des sans papiers.

Jeudi soir, le « plaignant » est à nouveau entré sans autorisation dans le bâtiment, se cachant dans une chambre d’occupant.e.s. La police a cette fois été prévenue pour sortir la personne.

Ce texte est écrit dans une nécessité de visibiliser des démarches discriminantes et récurrentes de la part de la police qui doit être mieux informée des conditions d’occupation et des réalités des sans papiers, de dénoncer les injonctions extérieures de « soutiens » qui ne prennent pas en compte les auto-déterminismes des sans papiers.

Nous demandons un soutien politique de la part du chef de la police d’Ixelles, le Bourgmestre, Christos Doulkeridis, afin qu’il puisse rappeler l’accord, certes précaire mais existant entre le collectif la Voix des Sans Papiers de Bruxelles et la commune afin d’être protégé d’interventions policières abusives.

Nous demandons à tout soutien de notre collectif de fabriquer un lien politique Et solidaire avec les sans papiers sans paternalisme, sans racisme.

La Voix des Sans Papiers de Bruxelles

* Migrant.e.s : mot utilisé à tout vent qui engloberait autant les sans papiers, que les demandeurs d’asile, que les personnes ayant un statut de réfugié, que des personnes venues du continent africain, que…

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