Mesdames, Messieurs,
En vos titres et qualités,
Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier de votre prĂ©sence Ă cette soirĂ©e et de votre soutien Ă notre action. En ce 17 mars 2017, nous nous apprĂªtons Ă ouvrir la Semaine d’Actions Contre le Racisme, Ă©vĂ©nement rĂ©current, consacrĂ© cette annĂ©e, aux assignations identitaires, organisĂ© par le MRAX en collaboration avec diffĂ©rents partenaires, que je remercie Ă©galement.
Cela fait maintenant 11 ans que, l’espace d’une semaine, nous prenons un temps de valorisation de l’action quotidienne du MRAX et de divers acteurs. Cet Ă©vĂ©nement annuel est aussi une occasion de s’arrĂªter un moment pour Ă©voquer le chemin parcouru et de rĂ©flĂ©chir Ă ce que doit Ăªtre la voie Ă suivre. Notre lutte s’inscrivant dans une certaine temporalitĂ©, il me semble utile d’invoquer l’Histoire tout au long de mon intervention pour rĂ©affirmer le sens de notre combat.
Je commencerai donc ma prise de parole par une citation un peu pessimiste de Georg Wilhem Friedrich Hegel. Mais je tiens d’ores et dĂ©jĂ Ă vous rassurer, j’en terminerai par une autre plus optimiste. Le philosophe allemand nous a dit ceci : « L’expĂ©rience et l’histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n’ont jamais rien appris de l’Histoire, qu’ils n’ont jamais agi suivant les maximes qu’on aurait pu en tirer. » Cette phrase rĂ©sonne avec une tonalitĂ© particulière quand connaĂ®t les origines du MRAX.
Notre mouvement a Ă©tĂ© fondĂ© au sortir de la Seconde Guerre mondiale par des individualitĂ©s exceptionnelles qui adhĂ©raient Ă un slogan alors rĂ©pandu : Plus jamais ça ! Des rĂ©sistants juifs communistes qui combattirent au pĂ©ril de leur vie la bĂªte immonde et eurent ensuite la luciditĂ© de savoir son ventre encore fĂ©cond. Yvonne Jospa et quelques autres créèrent ce qui allait devenir le MRAX. C’est avec honneur, fiertĂ© et responsabilitĂ© que nous endossons leur hĂ©ritage. Nous sommes un mouvement de la ligne de front, nous entendons nous situer, comme nos fondateurs Ă l’avant-garde du combat pour l’Ă©galité ! Avec d’autant plus de dĂ©termination qu’aux plus hautes fonctions rĂ©galiennes de l’État, nous retrouvons dĂ©sormais une complaisance avĂ©rĂ©e avec les ennemis irrĂ©ductibles de ceux qui fondèrent notre organisation.
Il paraĂ®t mĂªme que, maintenant, le parti des inciviques veut faire des leçons de citoyenneté ! Et cela, comble de l’ironie, pour accĂ©der Ă la nationalitĂ© d’un pays qu’ils haĂ¯ssent aujourd’hui comme ils le haĂ¯ssaient en 1940. Qu’ils commencent d’abord par faire passer un examen Ă Bob Maes qui n’a jamais regrettĂ© d’avoir Ă©tĂ© du cĂ´tĂ© des bourreaux. En ce qui nous concerne, nous nous situons sans ambiguĂ¯tĂ© de l’autre cĂ´té !
Je voudrais saluer la mĂ©moire des morts d’une entreprise gĂ©nocidaire qui, Ă nos yeux, n’aura jamais ses raisons ! Durant ces annĂ©es, ils furent des millions, ces gens, arrachĂ©s Ă leur famille qui connurent l’enfer sur terre avant de la quitter. On ne peut tous les citer mais tous doivent rester dans nos mĂ©moires. Il y eut des anonymes comme mon arrière-grand-père qui n’Ă©tait dĂ©jĂ plus qu’un numĂ©ro, le 3794, lorsqu’il mourut au camp du Gusen lors du terrible hiver de 1941.
D’autres victimes de cette extermination de masse avaient plus de notoriĂ©tĂ©. J’ai une pensĂ©e particulière pour Paul-Emile Janson, ancien Premier ministre mort Ă Buchenwald. Ceux qui se revendiquent encore aujourd’hui des idĂ©aux du libĂ©ralisme dĂ©mocratique qui Ă©taient les siens et qui lui valurent la dĂ©portation, ne doivent pas toujours Ăªtre très Ă l’aise avec les actuelles vicissitudes de la vie politique belge !
Nous parlions de la nationalitĂ© et de ceux qui la portent ou voudraient un jour la porter. En Belgique, le droit du sol est dĂ©jĂ très relatif et on va s’attaquer au droit du sang, la grande braderie des droits se poursuit ! Pour certains, les enfants dont les deux parents ne sont pas belges, ne peuvent Ăªtre que des demi-citoyens pour ne pas dire des demi-sang. Par les temps qui courent, je ne peux que me rĂ©jouir d’avoir demandĂ© -et obtenu- la nationalitĂ© belge il y a de cela Ă peine plus de 10 ans.
L’Ă©vocation des questions de citoyennetĂ©, de nationalitĂ© et de valeurs Ă dĂ©fendre me fait penser Ă l’histoire de « l’affiche rouge » popularisĂ©e par Aragon et FerrĂ©.
En 1943, il y avait, en France, ceux qui disaient aimer la France Ă l’ombre de l’Occupant et ceux qui se battaient pour elle au pĂ©ril de leur vie. Parmi eux, il y avait Missak Manouchian et ses amis des Francs-Tireurs et partisans de la main-d’œuvre immigrĂ©e. Après plusieurs actions, ils furent capturĂ©s par les nazis qui dĂ©cidèrent de leur faire subir une double peine. Non seulement, ils seraient exĂ©cutĂ©s mais leurs visages seraient placardĂ©s sur toutes les places de France, sur une affiche rouge oĂ¹ l’exposition de leurs noms et leurs faciès exposĂ©s serait la preuve ultime qu’ils n’Ă©taient ni des libĂ©rateurs ni des français. Mais, ils furent nombreux Ă ne pas s’y tromper, l’inscription « morts pour la France » apparut durant les nuits suivantes un peu partout sur les sinistres affiches. En anti-raciste hĂ©roĂ¯que, Manouchian, avant d’Ăªtre fusillĂ©, a dit, qu’il mourrait sans haine pour le peuple allemand ! Aujourd’hui comme hier, en France comme en Belgique, il y a ceux dont l’action force Ă©normĂ©ment le respect tout en n’ayant, pour certains, mĂªme pas de nationalitĂ© dont ils peuvent Ăªtre dĂ©chus et il y a ceux qui dont l’opportunisme politique cache très mal la dĂ©chĂ©ance morale.
Le travail de mĂ©moire est essentiel pour aider Ă dĂ©construire les prĂ©jugĂ©s xĂ©nophobes, pour mettre Ă mal la mĂ©canique raciste Ă l’œuvre dans notre sociĂ©tĂ©. J’ai Ă©voquĂ© le gĂ©nocide juif et tzigane mais il faut aussi avoir Ă l’esprit d’autres crimes gĂ©nocidaires historiques comme celui dont furent victimes les ArmĂ©niens, les Tutsis ou les habitants de Srebrenica. Le racisme peut tuer et parfois sur une très grande Ă©chelle. Nous devons nous en rappeler.
C’est aussi parce que, sous certaines formes particulièrement dĂ©sinhibĂ©es et Ă©laborĂ©es, le racisme lĂ©gitime des systèmes d’oppression fĂ©roces et meurtriers qu’il faut le combattre sous toutes ses dĂ©clinaisons. Oui, nous le disons aujourd’hui, et nous le redirons demain mĂªme si ça dĂ©plaĂ®t -et ça continuera Ă dĂ©plaire Ă certains-, la colonisation fut et reste un crime contre l’humanité ! Pour nous, Patrice Lumumba est un hĂ©ros, et s’il n’obtient pas un Place Ă son nom, il sera toujours dans nos cÅ“urs de militants !
Le combat historique de Martin Luther King, Malcom X et Angela Davis pour les droits civils a marqué beaucoup de générations. Il faut que la nôtre soit vigilante avec le nouveau pouvoir crypto-suprémaciste en place à Washington.
Il m’est impossible d’ouvrir cette Semaine d’Actions Contre le Racisme sans Ă©voquer les attentats de Bruxelles perpĂ©trĂ©s il y a presque un an. Le 22 mars, des criminels endoctrinĂ©s assassinaient 32 personnes Ă l’aĂ©roport de Bruxelles National et dans la station de mĂ©tro Maelbeek. L’Ă©motion Ă©tait Ă©norme devant le nombre d’innocentes victimes de la terreur armĂ©e. Aujourd’hui, comme il y a douze mois, nos pensĂ©es Ă©mues vont Ă ceux qui sont tombĂ©s et Ă leurs proches. L’attentat ayant eu lieu lors de la SACR 2016, nous avions d’ailleurs mis prĂ©maturĂ©ment fin Ă cette semaine en guise de signe de respect.
Les rĂ©actions Ă cet attentat ont Ă©tĂ© contrastĂ©es. Tout d’abord, l’expression d’une solidaritĂ© forte, dans les jours qui ont suivi cet odieux massacre, au sein de la population de notre pays, a eu sincèrement de quoi Ă©mouvoir. Je tiens aussi Ă souligner l’impressionnante dignitĂ© des victimes et de leurs proches. Je retiens particulièrement la parole, touchante et juste, chargĂ©e d’humanitĂ© et d’Ă©motion de Michel Visart, papa d’une des victimes.
Il y eu aussi des rĂ©actions bien peu glorieuses. Ainsi, Jan Jambon, l’homme qui Ă©tait censĂ© nous protĂ©ger, n’a eu l’inspiration que pour inventer sa triste fable des musulmans dansants. Ou comment, Ă cette occasion, anticipant les « alternative facts » de Trump, le premier flic du Royaume est devenu le premier menteur du Royaume.
De manière gĂ©nĂ©rale, les dĂ©bats politiques qui ont fait suite aux attentats ne furent pas très inspirĂ©s. Sans parler des mesures effectivement prises dans ce cadre… LevĂ©e du secret professionnel des assistants sociaux, possibilitĂ© d’expulsion sans jugement des Ă©trangers lĂ©gaux, perquisitions aux sièges d’ASBL Å“uvrant Ă la cohĂ©sion sociale… Il n’est pas Ă©vident de dire si la Belgique post-attentats du 22 mars est devenu plus sĂ»re. Mais force est de constater que la vie des plus prĂ©carisĂ©s et ceux qui s’engagent en leur faveur est devenue bien plus pĂ©nible….
Nous aussi, nous voulons Ăªtre fermes avec ceux qui veulent abattre notre dĂ©mocratie mais nous nous mĂ©fions un peu de ceux qui proposent de la dĂ©fendre en l’attĂ©nuant !
C’est la sociĂ©tĂ© belge dans son ensemble, avec toutes ses composantes, qui a Ă©tĂ© violemment frappĂ©e le 22 mars. C’est la sociĂ©tĂ© belge dans son ensemble, avec toutes ses composantes, qui doit collectivement se relever aujourd’hui.
Face Ă l’intĂ©grisme d’une secte criminelle, la meilleure rĂ©ponse est et restera l’intĂ©gralisme de nos libertĂ©s. Nous arriverons Ă faire taire leurs armes, sans dĂ©faire nos droits !
Le combat pour l’Ă©galitĂ© dans lequel nous nous sommes rĂ©solument engagĂ©s, au MRAX, est le meilleure moyen de dire aux identitaires Ă©triquĂ©s de toutes les sortes qu’un peuple se caractĂ©rise moins par la durĂ©e du passĂ© commun qu’il a vĂ©cu que par la richesse de l’avenir collectif qu’il va construire.
Je vais en terminer avec une citation sur l’Histoire plus positive que celle qui a ponctuĂ© le dĂ©but de mon discours. Elle est de Jean Jaurès : L’histoire enseigne aux hommes la difficultĂ© des grandes tĂ¢ches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir. L’histoire humaine n’est qu’un effort incessant d’invention, et la perpĂ©tuelle Ă©volution est une perpĂ©tuelle crĂ©ation. »
Mesdames, messieurs,
En vos titres et qualités,
Il me reste Ă vous laisser en vous partageant ma conviction que les plus belles pages de l’histoire de l’anti-racisme sont encore Ă Ă©crire !Â