Le livre « Le camp des saints » de Jean Raspail est paru en 1973. L’histoire commence dans le delta du Gange où des milliers de malheureux se pressent dans des embarcations de fortune pour fuir la famine. Un million de personnes voguent donc sur des cargos vers l’Occident dont les dirigeants sont partagés sur la réponse à apporter à cette arrivée sans précédent de réfugiés.
La prose de Raspail est passablement orientée. Dans le livre, ces civils en détresse qui viennent chercher refuge sur les côtes françaises apparaissent comme déshumanisés, pratiquement comme des sortes de morts vivants. La presse ne prend pas la mesure du danger pour la survie du peuple français, se contente de couvrir les événements avec des bons sentiments et prône l’accueil des « enfants du Gange ». Les politiques sont complètement dépassés par cette vague migratoire et tardent à réagir. Même le pape et l’Eglise sont présentés dans ce récit comme naïfs et incapables de comprendre que leur charité va mener le monde occidental à sa perte. Ils ne sont que très peu de personnages à se rendre compte de la dangerosité de la menace et à parler un langage de vérité selon les critères de l’auteur.
Cet ouvrage est davantage qu’une référence pour les propagandistes d’extrême-droite, il a été une arme de contamination massive de l’opinion publique et de sa représentation de l’immigration. Le récit contenu dans cette œuvre, sa diffusion et ses réappropriations ultérieures vont contribuer à inscrire dans l’imaginaire collectif la vision du migrant comme étant plutôt un danger qu’en danger. Le camp des saints est pratiquement le mythe fondateur du racisme anti-migrant en Europe et en Amérique du Nord. Cet ouvrage de référence pour l’extrême-droite et la droite extrême a été récemment recommandé par Marine Le Pen et serait même devenu le livre de chevet de Steve Bannon, le conseiller suprématiste de Trump. Migrants dangereux, politiciens veules, journalistes bienpensants, humanitaires fourvoyés : une certaine propagande populiste semble puiser dans les personnages du roman pour illustrer leurs idées et jouer sur les peurs.
La récente visite de Trump à Bruxelles a suscité une certaine mobilisation et aussi des moqueries certaines. On aurait cependant tort de s’attarder sur les mauvaises manières du Président avec ses homologues pendant la réunion de l’OTAN ou sur les demandes de first lady en matière de papier toilette lors de sa visite au musée Magritte, pour ne prendre que deux sujets qui ont fait médiatiquement le buzz. En fait, en plus de s’étendre sur la nécessité de voir contribuer les autres pays membres de l’OTAN, le 45ème président a évoqué l’importance de voir l’alliance se concentrer sur les menaces du futur à savoir le terrorisme et …l’immigration. Ainsi, selon Donald Trump, il faudrait qu’une alliance militaire soit partie prenante des politiques migratoires. Peut-être Bannon a-t-il écrit son discours puisqu’il voit le président américain comme le vaillant héros que même Raspail n’a pas osé imaginer lorsqu’il a écrit son bouquin, à savoir un dirigeant audacieux qui n’hésite pas à mobiliser tous les moyens militaires pour stopper en mer les cargos remplis d’ « enfants du Gange » !?Ou peut-être est-ce une foucade improvisée de Trump. Ce qui est sûr c’est qu’il y a de quoi s’inquiéter des perspectives d’évolution de l’OTAN dans les prochaines années. D’autant que des navires de l’OTAN sont déjà intervenus dans les eaux de la mer Egée l’an dernier en soutien à Frontex, l’agence européenne pour la gestion des frontières.
« Il ne s’agit pas d’arrêter ou de refouler des bateaux de réfugiés mais de fournir des informations et une surveillance essentielle pour aider à lutter contre le trafic humain et les réseaux criminels » avait dit le secrétaire général de l’OTAN à l’époque. Théo Francken et son collègue Ministre de la défense, Steven Van de Put, sont en tous les cas partants pour des « missions » de dissuasion de l’Union Européenne avant même que les migrants puissent rentrer en Libye (lieu de transit privilégié pour nombre de migrants depuis 2011 et la destruction des structures étatiques libyennes après ….une intervention militaire de l’OTAN). Le risque est grand de les voir aider Trump à faire de la lutte contre l’immigration une des priorités de l’OTAN. Des scénarios qui semblaient inenvisageables à l’époque à laquelle Raspail a écrit « Le camp des saints » vont peut-être se réaliser notamment grâce à une forme de « Camp-des-sanctification » des esprits.
Carlos Crespo, Président du MRAX