La convention belgo-marocaine

Partagez cet article

Les Marocains constituent à l’heure actuelle la deuxième communauté immigrée de Belgique, quel rôle a joué la convention de 64 dans cette émigration ?

La convention belgo-marocaine a été longtemps ignorée du grand public, et même d’un grand nombre de patrons. Certains n’en prendront connaissance qu’en 74, année de la fermeture des frontières, alors que la convention fut signée 10 ans plus tôt.

Après la guerre, il fallait absolument gagner la bataille du charbon : « La reconstruction nationale, après la seconde guerre mondiale, exige une production charbonnière importante… les pouvoirs publics désirent que cette production soit bon marché, afin de fournir aux entreprises de transformation une énergie qui ne fasse pas monter les prix… L’accroissement de la production charbonnière ne peut toutefois se faire sans recrutement massif de mineurs de fond. »

Ces mineurs de fond furent d’abord des prisonniers allemands et des personnes déplacées. A partir de 54, une crise se développe dans le secteur charbonnier. En 61, les mesures d’assainissement aboutissent à une relance de la production, si bien qu’entre 60 et 64, tous les moyens seront bons pour se procurer de la main d’œuvre. A côté du manque de force de travail, les autorités veulent aussi trouver une solution, même partielle, au phénomène de la dénatalité en Wallonie. En 62, le rapport Sauvy préconise à cette fin : « le recours à la main d’œuvre étrangère, l’immigration familiale et une réelle intégration des personnes immigrées dans la société belge ».

On prospecte d’abord en direction de la Grèce, de l’Italie et de l’Espagne, pays avec lesquels des conventions bilatérales sont signées. Mais les travailleurs italiens, par exemple, ne veulent plus descendre au fond de la mine, pas plus que les Belges d’ailleurs. Par contre, les Marocains semblent des candidats idéaux : le gouvernement marocain a une conception « marchande » de l’émigration, il est fort désireux d’envoyer un maximum de ressortissants à l’étranger de manière à faire rentrer des devises et n’est pas très exigeant à l’égard des conditions dans lesquelles ses ressortissants devront vivre. De plus, les autorités belges comptent beaucoup sur la docilité, réelle ou supposée, des travailleurs marocains, en regard entre autres des travailleurs algériens plus politisés et turbulents.

De plus, depuis 1954, le gouvernement français était prêt à envoyer dans les charbonnages belges des travailleurs nord-africains et même disposé à les initier préalablement aux travaux des mines, afin de se débarrasser le plus possible d’un chômage endémique, d’une main d’œuvre désœuvrée et donc potentiellement fauteuse de troubles. Après l’indépendance, en 1957, les autorités du Maroc réitèrent l’offre mais se heurtent à une fin de non recevoir. Il faudra attendre 1958 pour qu’ait lieu un recrutement expérimental de 300 travailleurs et 1962 pour que cette idée soit relancée dans l’urgence, à plus grande échelle.

1963 est une année décisive, la demande de main-d’œuvre est abondante, 500 travailleurs arrivent en 1963, 3000 en 1964, etc. Une procédure dite simplifiée, une procédure d’exception en fait, dérogeant à la loi de 1936 sur la double autorisation préalable, est mise en place : la situation des travailleurs marocains venant travailler en Belgique est régularisée au fur et à mesure.

La convention belgo-marocaine est à peu près identique aux conventions signées précédemment avec l’Italie, l’Espagne et la Grèce. Elle servira aussi de brouillon à l’accord belgo-turc quelques mois plus tard. Mais les autorités turques se sont montrées beaucoup plus combatives quant aux conditions de travail et de formation notamment. Les termes de la convention sont dictés par les besoins socio-économiques du pays demandeur de main-d’œuvre et elle contient très peu au sujet de la vie sociale et culturelle. Elle stipule cependant l’égalité de traitement entre travailleurs marocains et belges, la possibilité de transfert de fonds et des possibilités de regroupement familial après un certain nombre d’années de travail en Belgique. Mais elle ne prévoit pas explicitement la possibilité de la femme étrangère d’avoir accès au travail, cette dernière étant vue essentiellement comme femme au foyer, chargée de contribuer au repeuplement de la Wallonie, et bénéficiant uniquement des droits dérivés accordés à son mari.

Le recrutement va s’effectuer via le personnel diplomatique belge au Maroc. Après un premier examen médical aux frais des autorités marocaines, les travailleurs retenus sont dépêchés vers la Belgique aux frais de l’employeur. Les critères de recrutement sont la bonne santé, le fait de ne pas avoir eu de condamnation lourde, avoir entre 20 et 35 ans pour les inexpérimentés et jusqu’à 40 ans pour ceux qui ont déjà été mineurs de fond durant 2 mois.

Dès novembre 1964, la crise charbonnière se refait sentir. L’ordre officiel d’arrêt des opérations de recrutement au Maroc parvient au consul général en novembre 64, alors que 1000 candidats sont prêts au départ… En 65, la suspension de facto intervient, vers l’ensemble des secteurs de travail. La fin du recrutement correspond donc paradoxalement quasiment avec la signature de l’accord ! Mais l’immigration non officielle n’en continue pas moins, par le biais principalement de visas touristiques. Le consul général communique, fin 64, que 500 travailleurs marocains ont franchi la frontière franco-belge chaque mois durant l’année.

Au total, peu de travailleurs marocains seraient venus dans le cadre de la convention, cette dernière n’a fait qu’officialiser des pratiques déjà en cours. Enfin, pour l’anecdote, elle ne sera publiée au moniteur qu’en 1977, ses auteurs ayant oublié de la faire enregistrer !

 

Inscrivez-vous !

Vous souhaitez être tenu au courant de nos actions ?