Carte blanche du MRAX parue dans l’Echo
Le Mrax organisait le 9 janvier une projection du film « Les Hommes d’Argile » du réalisateur Mourad Boucif. Cette œuvre cinématographique est une fiction renvoyant à un pan de l’Histoire européenne – bien réel – à l’égard duquel notre mémoire collective s’est de plein gré plongée dans une amnésie profonde: la présence massive, et généralement contrainte, de soldats issus des colonies sous les drapeaux des puissances coloniales lors de la Seconde Guerre mondiale.
Au-delà de la mobilisation forcée par les empires coloniaux de soldats africains et asiatiques et leur sacrifice dans les champs de bataille européens, le racisme colonial montrera tout son mépris à travers le manque de reconnaissance, le manquement aux promesses d’indépendance, des massacres (Thiaroye, Sétif, Madagascar), l’absence d’informations aux familles, l’absence d’indemnités pour les familles, le non-paiement des pensions aux anciens combattants, l’absence de recherche des dépouilles, l’oubli collectif… Autant de démonstrations concrètes du cynisme raciste qui imprégnait les relations entre colonisateurs et colonisés et qui imprègne encore jusqu’à aujourd’hui les relations entre anciennes puissances coloniales et anciens peuples colonisés.
Il est nécessaire d’aborder les événements ci-dessus comme une partie seulement d’un long continuum de crimes commis par notre « civilisation européenne » à l’encontre des peuples du monde: esclavagisme, massacres, génocides, colonialisme, crimes, ingérences… L’Europe a beaucoup de sang sur les mains qu’elle n’a encore jamais voulu laver, feignant ne pas le voir.
Cet aveuglement européen sur la réalité de son rapport à l' »autre » dans l’histoire l’empêche – confortablement – d’adopter aujourd’hui une autre posture qui ne verrait plus en l’Africain un « corps d’exception » dont nous pouvons disposer comme bon nous semble (soldat, travailleur précaire, objet sexuel…), sur lequel nous pouvons discourir comme bon nous semble (animal, dangereux, prédateur sexuel, faible d’esprit, différent, bruyant, odorant, proliférant, omniprésent, sauvage…) et, surtout, quant au sort duquel nous ne nous sentons pas concernés (famines, épidémies, guerres civiles, exodes, noyades massives en Méditerranée, enfermement en centres fermés, expulsions violentes…). Nous retrouvons cette posture jusqu’au plus haut niveau de l’État.
Quand le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration propose de former les migrants au respect de la femme, son initiative n’aurait pas été jugée comme raciste si le secrétaire d’Etat ne traînait pas un long passif de « dérapages » à l’égard de différentes minorités. Theo Francken étant un multirécidiviste pour ce qui est de manquer de respect aux citoyens belges d’ascendance étrangère, aux migrants et aux homosexuels, il est aujourd’hui fort peu crédible en promoteur du respect. Nous lui recommandons par ailleurs de s’intéresser au sort des femmes migrantes qui vivent dans une grande précarité et une grande insécurité des suites des politiques migratoires dont il est lui-même à l’initiative.
Et c’est la ministre de l’Égalité des Chances (ça ne s’invente pas) Bianca Debaets qui explique dernièrement comment certains jeunes « d’origine maghrébine » considèrent les femmes « comme du gibier en liberté » alors que l’histoire et l’actualité européennes regorgent d’exemples de la réification de la femme africaine et de son pendant fantasmatique: la « négresse » et la « beurette ».
Il n’est aucunement question ici de faire de l’angélisme.Il est certain que dans les rangs des migrants (ou des citoyens belges d’ascendance étrangère) comme au sein du reste de la population, nous pouvons retrouver des prédateurs sexuels. Et évidemment qu’en ce qui concerne les violences faites aux femmes, toutes les initiatives de prévention sont intrinsèquement positives. Il est également normal que les pouvoirs publics prennent des dispositions visant à améliorer les connaissances pour les demandeurs d’asile des législations et règles existantes dans les pays d’accueil.
Il n’en demeure pas moins que, dans les représentations collectives, un Belge prédateur sexuel est prédateur sexuel avant tout, alors qu’un migrant prédateur sexuel sera toujours appréhendé d’abord comme un migrant. C’est donc bien à partir de cette posture suprémaciste européenne prétendue irréprochable que ces deux ministres se sont reconnus la légitimité de jeter publiquement et sans retenue, du haut de leur fonction, la pire suspicion sur un grand nombre de concitoyens à partir d’une approche essentialiste relevant de la mécanique raciste.
Nos autorités doivent cesser leurs discours reproduisant et promouvant ces rapports de domination. Elles doivent contribuer à la révision de notre mémoire collective, la relayer activement au sein de la société et en dégager des actions réparatrices. Enfin, nous appelons à la mise en œuvre de politiques publiques volontaristes qui mettent fin aux inégalités conséquentes à cette posture de domination raciste.