Carte blanche: La discrimination, vous la préférez neutre ou laïque?

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Carte blanche parue dans LeSoir 

La (ré)ouverture du débat sur l’inscription de la laïcité dans la Constitution belge ne tombe pas à un moment opportun, à l’heure où nombreux sont ceux qui se revendiquent de la laïcité pour viser avant tout une minorité de croyants.

La séparation entre l’Eglise et l’Etat et la progressive sécularisation de ce dernier constituent une victoire essentielle dans l’histoire des luttes démocratiques de notre pays. Face à l’Église Catholique historiquement dominante en Belgique qui entendait asservir les consciences, façonner les esprits et imposer des politiques, se sont levés des progressistes épris de liberté. Leur juste combat contre une élite dominante qui instrumentalisait des croyances religieuses pour défendre l’ordre établi ne peut que susciter encore aujourd’hui la plus forte admiration. Peu à peu, l’Etat s’est affranchi de l’immixtion du religieux dans la conduite des politiques publiques et s’est mué en garant des droits individuels et collectifs des citoyens quelles que soient leurs croyances religieuses ou convictions philosophiques. Dans le contexte de compromis à la belge, ce processus émancipateur a généré un principe de neutralité des pouvoirs publics. En France, la laïcité d’État a été consacrée dans l’article premier de la constitution de la République.

Le jeu de la stigmatisation

Aujourd’hui, on a ouvert un débat public en Belgique sur l’intérêt de la constitutionnalisation de la neutralité et/ou de la laïcité. Que faut-il en penser ? La première question à se poser est celle du timing. Comment faire abstraction de la situation exceptionnelle dans laquelle nous nous trouvons ? Qui peut sérieusement douter de l’impossible sérénité du débat quand on sait que nous sommes tous menacés par une poignée de laudateurs de la mort exécutant leurs basses besognes pour le compte d’une secte criminelle se revendiquant de l’Islam. Car nul ne peut sérieusement feindre d’ignorer qu’aujourd’hui, la plupart de ceux qui invoquent la nécessité d’une réaffirmation de la séparation entre l’Église et l’État ne défient plus une institution religieuse mais toisent une minorité de croyants. Bien sûr, intrinsèquement les concepts de laïcité ou de neutralité ne concernent pas que les musulmans. Toutefois, dans l’hystérie actuelle, où tant la menace terroriste bien réelle que la labellisation d’un produit alimentaire déchaînent les passions les plus viles sous l’impulsion de xénophobes surmédiatisés et participent à la constitution d’un « problème musulman », qui va croire que l’on pourra éviter par là de jouer le jeu actuel de la stigmatisation de ladite communauté ?

Deux poids deux mesures

L’ordonnance récente du Tribunal du travail concernant le litige entre Actiris et quelques travailleuses a également suscité plusieurs réactions dans le monde politique. Le Tribunal a opté pour une lecture apaisée de l’articulation entre la neutralité des services et les droits individuels. Certains évoquent un problème juridique lié à des fonctionnaires qui, par le simple fait d’arborer des signes convictionnels, porteraient atteinte à l’impartialité de l’État. Il convient de leur rappeler que le Conseil d’État a considéré que le fait pour l’agent de porter des signes convictionnels ne constitue pas en soi une atteinte à l’impartialité de l’État. Quand on connaît l’importance de la discrimination à l’embauche (notamment à Bruxelles) dont la récente émission « Question à la une » sur la RTBF a tristement rappelé l’ampleur, on ne peut qu’enjoindre les employeurs publics à être particulièrement attentifs à éviter des pratiques discriminatoires à l’égard de leurs travailleurs et travailleuses. Il est d’ailleurs dommage qu’à ce stade la question de la lutte contre le racisme et les discriminations ne suscite pas auprès des décideurs politiques la même effervescence intellectuelle que les enjeux liés à l’impartialité des services publics.

La France, un exemple ?

Évidemment, une société ouverte ne peut faire l’économie d’une réflexion sur elle-même. Il est intéressant de réfléchir à comment améliorer notre démocratie. On peut cependant se poser la question de savoir si la France avec ses crispations identitaires est la meilleure source d’inspiration pour ceux qui veulent réformer la loi fondamentale en Belgique. L’inscription déjà ancienne de la laïcité dans la Constitution dans ce pays n’a conjuré ni le terrorisme ni le racisme ni même l’obscurantisme religieux. Il serait opportun de s’en rappeler.

Des droits, pas des prétextes

Enfin, à partir du moment où le cadre légal existant permet à la fois de faire coexister le principe de neutralité de l’État (l’ordonnance Actiris ne remet aucunement en question ledit principe, il considère simplement comme non proportionnée une disposition du règlement du travail qui s’en prévalait) et la liberté religieuse, il ne semble pas nécessaire de légiférer et a fortiori de changer la constitution. D’autres choses peuvent être faites pour améliorer concrètement notre vie en société. Les conquêtes sociales et sociétales engrangées doivent être préservées voire plus strictement appliquées dans les faits. La séparation de l’Église et de l’État doit rester un moyen d’acquérir de nouveaux droits pour tous et pas devenir un prétexte pour en restreindre l’accès à certains citoyens.

Ce que les pouvoirs publics doivent arriver à faire émerger, en concertation avec l’ensemble des forces vives de la société, c’est un contrat social renouvelé qui garantisse effectivement tant les libertés individuelles que l’égalité réelle pour tous les citoyens et les citoyennes. C’est finalement ce que la laïcité devrait être : liberté et égalité garanties par l’Etat pour tous les individus sans distinction de croyance religieuse ou philosophique.

Carlos Crespo, président du MRAX

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